Life / Sports

Suède, au pays de Zlatan Ibrahimovic

Temps de lecture : 5 min

Dans son pays, le nouveau joueur du PSG représente bien plus qu'une star. Reportage à Göteborg pendant la préparation de l'Euro.

Zlatan Ibrahimovic après la défaite de la Suède face à l'Angleterre à l'Euro 2012 le 15 juin à Kiev, REUTERS/Nigel Roddis
Zlatan Ibrahimovic après la défaite de la Suède face à l'Angleterre à l'Euro 2012 le 15 juin à Kiev, REUTERS/Nigel Roddis

Un journaliste a demandé un jour à Zlatan:

«Que manque-t-il à la Suède pour gagner l’Euro?»

L’attaquant du Milan AC a répondu spontanément:

«Dix autres Zlatan.»

Dans cette réplique cinglante, il fait sans doute autant allusion au talent qu’à la mentalité.

Un peu fada

Je me suis pointé à Göteborg le 30 mai dernier, pour goûter l’ambiance d’un match amical face au voisin islandais. Il fait bon, les Biergarten recommencent à fonctionner, le soleil ne se couche que pendant 5 heures, les vélos ne sont pas attachés au pied des bâtiments.

Venus dans la même ville pour la finale de la Coupe de l’UEFA 2004, perdue face à Valence (2-0), bien des supporters de l’OM avaient halluciné, sous le regard dédaigneux des locaux:

«Où sont les chaînes? Les antivols?»

Puis, devant les visages courroucés des passants, ils avaient commencé à chaparder des bicyclettes pour les balancer 50 mètres plus loin au bord des canaux. Bon esprit.

Zlatan, 30 ans, est sans doute plus Marseillais que Suédois. Fada, incontrôlable, incapable de gérer ses tensions. La remarque ou le coup de pied latéral en pleine face gicle comme une frappe aux 20 mètres.

«Jeune, quand il évoluait encore à Malmö ou à l’Ajax, beaucoup ne supportaient pas son individualisme, son incapacité à se fondre dans un groupe. On a besoin d’un ‘‘frame’’, en Suède, tu vois, on doit s’intégrer dans un cadre», explique Johan Malm.

«Gabriel», son resto, est niché dans les greniers du marché au poisson historique de Göteborg. Johan ouvre les huîtres plus vite que son ombre, il gagne même des prix nationaux pour ça. Il a plus le look d’Olof Mellberg que de Jean-Louis-l’ostréiculteur-philosophe-des-Petits-Mouchoirs, et il a dit «avoir appris à aimer Zlatan. Mais encore aujourd’hui, je préfère le gardien, Andreas Isaksson».

Ce mercredi soir, on rejoint Georges avant d’aller au stade. Georges a quitté Nice il y a une décennie, pour les beaux yeux bleus d’une Suédoise. Il nous a dégoté des billets dans le virage sud du stade Gamla Ullevi, tout près du Kop, et sans trop de difficultés:

«Ce sont les enfants de mon club qui accompagnent les joueurs avant la rencontre.»


Les petites têtes blondes –l’expression prend enfin tout son sens ici– sont excitées comme des puces à l’idée de rentrer sur la pelouse au côté des joueurs. Sven, le fils de Georges et gardien des benjamins de Styrsö, aurait bien tenu la main de Zlatan. Il ne jure que par lui, et son égal français, Karim Benzema.

«Zlatan, il oblige les Suédois à se découvrir, juge Georges, qui commencera bientôt à lire l’autobiographie du bonhomme, déjà écoulée à 500.000 exemplaires. Dans un pays réservé, il ose. Il dit tout haut ce que le reste des gens pensent tout bas. Il n’a pas peur des convenances, et c’est plutôt décomplexant pour les jeunes d’aujourd’hui.»

En tribunes, les jeunes en question n’ont d’yeux que pour lui. Le moindre de ses tirs lors de l’échauffement les ébahit. En seconde mi-temps, il se rapproche du virage sud, enfin, prêt à fondre sur la cage islandaise.

Les smartphones cadrent son imposante silhouette, les flashes illuminent les travées. En fait, c’est le seul moment où l’effervescence gagne la tribune. Le reste du temps, on papote, on scande toutes les dix minutes l’un des deux cris de ralliement made in Sverige du fan, on boit des bières sans alcool, ou alors il est bien caché.

Comment traduit-on «Ambiance bon enfant» en Suédois? Camilla a installé tranquillement sa poussette derrière le filet de protection, et son petit garçon dort paisiblement au pied du Kop. Un motivé en treillis tente de lancer une hola pendant quinze minutes, mais la vague se brise irrémédiablement sur la tribune présidentielle.

La Suède gagne 3 buts à 2, Zlatan a mis le premier pion et délivré la passe décisive sur le second, le tout en moins d’un quart d’heure. Le capitaine est largement au-dessus du lot, et ne semble même pas avoir forcé. «Et tu as vu comme il redescend bas, souligne Georges. Il est autant un meneur qu’un buteur en équipe de Suède. On dirait qu’il veut tout faire.»

Heureux d’avoir vu Zlatan, Georges et son fils rentrent tranquillement sur l’Ile de Styrsö. Demain, à l’école de foot, et comme d’habitude, Georges traquera les excès d’individualisme chez ses footballeurs en herbe:

«Il n’y a pas longtemps, on était en train de corriger l’équipe adverse. A la pause, on a décidé de ramener le score à 0-0 pour la seconde mi-temps. On ne joue pas pour un 17-0, pour humilier les autres, mais pour prendre du plaisir.»

Dans la banlieue de Malmö, le plaisir de Zlatan a toujours été solitaire. Sur le bitume du quartier modeste de Rosengard, il dribblait et redribblait à l’envi ses camarades, un peu comme Garrincha, le port altier et l’air arrogant en plus. Personne ne bronchait, il était déjà ceinture noire de taekwondo à l'âge de 17 ans. Trop bon, trop fort.

Pas de chez nous

Trop différent, aussi, lui le fils de Sefik le Bosnien et de Jurka la Croate? «Je m’en fous un peu de Zlatan, je ne le trouve même pas spécialement sexy. Il est juste le Suédois le plus connu dans le monde, avec Alexander Skarsgard, mais je ne suis pas sûr qu’il mérite tout ce cirque», soupire la jolie Elin, étudiante en commerce. Elle tourne sept fois le piercing qui orne sa langue, et poursuit:

«Il a une attitude différente, et ça vient peut-être du fait qu’il n’est pas de chez nous.»

Pas de chez nous. La réflexion revient parfois, sans jamais sembler insultante. Comment expliquer le grain de folie de la star? Les sociologues suédois ne le sauront jamais, mais se régalent quand même du cas Zlatan, comme Mats Trondman, qui le suit scientifiquement depuis une décennie.

Référence pour les jeunes issus de l’immigration. Symbole d’une intégration constructive. Vecteur de la diversité parmi la population. Ibrahimovic est mis à toutes les sauces, sans qu’on sache les ingrédients de sa propre potion magique. «Aujourd’hui, il unifie plus qu’il divise. Même quand il est à l’origine de la blessure grave de Majstorovic, on lui pardonne», commente Ivar Erving.

Au-delà du foot

Nous sommes accoudés au bar du Port du Soleil. Ivar ne boit que de la bière, évite le gin tonic depuis une histoire à Londres mêlant cuite monumentale, nana sous acide et nez cassé (le sien).

«C’est dommage qu’il n’y ait que des brêles autour de lui en équipe nationale. Avant, on avait Kenneth Andersson, Thomas Brolin, Martin Dahlin, Henrik Larsson, Thomas Ravelli… Une superbe génération. Pourquoi un tel fossé aujourd’hui? Je ne sais pas te l’expliquer. Désolé, j’ai pas grand-chose à raconter sur Zlatan.»

Il part aux toilettes, où la bass des DJ’s fait trembler l’eau des cuvettes. Et revient, l’œil brillant:

«Si, si, il faut absolument que tu vois sur YouTube la chanson qu’un petit garçon lui a consacré pendant la Coupe du monde 2006. Cela a fait un buzz incroyable en Suède. Et tu comprendras mieux ce qu’est Zlatan pour nous.»

Un pitchoun proclame son amour pour la star au milieu d’une cité et de visages bigarrés, puis d’une équipe de foot blonde platine. Chante en suédois, en anglais et en allemand. Mieux qu’un clip de Sos Racisme.

Mathieu Grégoire (à Göteborg)

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