Comme
prévu, avant le match Pologne-Russie, des supporters, pardon, des
hooligans, se sont affrontés. Un Polonais en blouson de cuir noir s’est
précipité sur un Russe marchant vers le stade, en direct devant les caméras. Ensuite, ce fut l’escalade, avec 10 blessés et 130 interpellations
à la clé. Cet affrontement n’est pas le premier de la compétition et ne
sera pas le dernier. Les Ukrainiens, les Polonais, les Croates se sont
déjà bastonnés entre eux ou contre la police.
Ces
actes de violence, même s’ils sont dénoncés par l’UEFA et les médias
comme étant des gestes contre le football, sont assez logiques et
prévisibles. Celui qui fait le surpris est hypocrite. Pour le match
entre la Pologne et la Russie, les antagonismes historiques entre les
deux nations expliquent en partie ces violences.

Des policiers arrêtent un homme en marge du match Pologne-Russie de l'Euro 2012 à Varsovie le 12 juin, Reuters
La mort du président polonais dans un accident d’avion en 2010
–un assassinat des Russes pour une partie de la frange nationaliste– a
ravivé des plaies qui ne se sont jamais vraiment fermées. De même, les
tensions inhérentes en football entre les Pays-Bas et l’Allemagne –le premier pays ayant souvent cherché à obtenir sur
le terrain une revanche de la Seconde Guerre mondiale– peut annoncer
une ambiance tendue pour le match de ce mercredi 13 juin.
Mais
tout mettre sur le dos de l’histoire est un peu trop facile. Les
hooligans répondent le plus souvent à une construction sociologique
propre, et ils n’ont pas besoin ou presque d’une excuse historique pour
se battre. Depuis le début des années 1960, et les premières grandes
violences en Angleterre, des chercheurs ont étudié les raisons de la
création du hooliganisme.
Réaction à l'évolution du football
Pour l’Anglais Eric Dunning, auteur de l’ouvrage de référence Sport et civilisation, la violence maîtrisée
(avec l’Allemand Norbert Elias), le hooliganisme est surtout un moyen
de mettre en scène le rapport hostile que ces jeunes gens ont établi
avec la police et les pouvoirs publics en général. Dès les années 1980, il
estime que le hooliganisme serait ainsi une réaction contre la «bourgeoisification», «l'internationalisation» et la «spectacularisation» du jeu.
Cependant,
Dunning remarque que ces affrontements avaient souvent lieu entre des
groupes de classe ouvrière. Le conflit est alors un moyen de défendre
l'honneur de la cité en question. Il y a tout d'abord des affrontements
quartier contre quartier, puis l'échelle augmentant, ville contre ville,
région contre région, pays contre pays. Le comportement agressif est
alors un effet miroir des relations sociales dans les cités ouvrières
les plus défavorisées.
Selon
lui, on peut même remarquer qu'au cours du XXe siècle, la variation
des troubles survenant lors des matchs de football semble dépendre en
grande partie du degré d'incorporation de la classe ouvrière dans la
société. Et si l’on continue le raisonnement, la répression, la
disparition d’une classe ouvrière organisée et l’augmentation des prix
des billets en Angleterre ont contribué à une baisse significative de la
violence, au moins dans les stades, puisqu’elle a ensuite été reléguée
en périphéries, sur les aires d’autoroute par exemple.
Mais
dans d’autres pays, en Europe de l’Est notamment, où la fin de l’URSS a
entraîné d’importantes disparités économiques et de nombreux déçus, une
certaine «tension de classe» est forte.
Instrumentalisation politique
A
ces causes s’ajoute une instrumentalisation récurrente des tribunes par
les partis politiques, notamment l’extrème droite. Pour parler
pudiquement, les hooligans polonais n’ont pas vraiment les cheveux
longs. Et, en Ukraine, un reportage dans le dernier Sofoot montre qu’un seul club, l’Arsenal Kiev, a des supporters d’extrême gauche, qui passent du coup leur temps à affronter les groupes de supporters d’extrème droite des autres clubs.
Pour le géopolitologue Pascal Boniface, dans son livre Football
et mondialisation, «les gradins des stades sont avant tout une tribune
offerte à l’extrême droite qui peut y développer un discours de haine
et de discrimination raciale». Pour
lui, le football étant un reflet de la société, il souffre de ses maux
ce qui ne veut pas dire que c'est lui qui les génère.
De
caisse de résonance de la crise économique en Angleterre dans les
années 1980, le stade de football est ainsi souvent devenu le miroir
depuis la fin des années 1990 de la montée du racisme en Italie, en
Espagne, ou en Europe de l’Est.
Moyen de propagande
Ainsi selon Pascal Boniface, l’extrême droite essaie d’infiltrer les tribunes car «une
banderole raciste exposée quelques minutes dans un stade a toutes les
chances d’être reprise par tous les médias européens. C’est un moyen de
propagande très efficace». Les
hooligans ont toujours profité de l’effet d’aubaine médiatique, qui,
lors d’une grande compétition internationale, est décuplé.
Historiquement, en exagérant les premiers affrontements, le sociologue
anglais Stuart Hall estime que les «mass media» ont créé une sorte de «panique morale».
Depuis,
les médias ont adopté une ligne claire: ces hooligans ne sont pas des
vrais supporters. Rien sans doute de plus faux. Pour les chercheurs
français Dominique Bodin, Stéphane Héas et Luc Robène, si le «hooliganisme est cependant le fait d’un nombre limité de supporters», «en
reprenant la métaphore relative à la consommation de drogue on peut
affirmer que si 100% des supporters ne deviendront pas hooligans, 100%
des hooligans sont bien quant à eux d’authentiques supporters».
Comme le résumait ainsi Eric Dunning, dès 1995 dans une interview à Libération, «le phénomène du hooliganisme a été associé au foot partout dans le monde depuis que ce sport est devenu professionnel». Nous n’avons donc pas à être étonnés que cela recommence lors de cet Euro, lors du prochain Mondial, et ainsi de suite.
Clément Noël