La dernière fois que Menachem B. a vu son frère jumeau Jeno, c'était à Auschwitz, peu avant la libération du camp par l'Armée rouge. Ils avaient alors 5 ans. Près de soixante-dix ans plus tard, ce retraité vivant à Tel Aviv espère désormais pouvoir le retrouver grâce à un appel lancé sur Facebook, rapporte Der Spiegel.
Séparés de leurs parents, les deux jumeaux juifs hongrois avaient été déportés à Auschwitz en 1944 pour servir de cobayes au médecin nazi Josef Mengele. Surnommé «l'ange de la mort», ce dernier s'est livré à des expériences atroces sur des milliers de jumeaux pendant la Seconde Guerre mondiale dans le but de confirmer scientifiquement la doctrine raciste nazie. La plupart des petits cobayes de Mengele n'ont pas survécu à leur séjour dans le «bloc des jumeaux». Et quand c'était le cas, ils étaient envoyés à la chambre à gaz.
Menachem B. ne se souvient pas lui-même des expériences qui ont été menées sur lui et son frère à cette époque. Il n'a pas de cicatrices qui pourraient apporter des éléments de réponse, mais souffre d'attaques de panique et s'est mis récemment à faire des cauchemars liés à son séjour en camp de concentration. Adopté à la libération par un autre survivant d'Auschwitz à qui il avait demandé s'il voulait bien «devenir [s]on père», Menachem B. a perdu toute trace de son frère et de son passé.
Lancée le 2 mars dernier, la page Facebook de Menachem B. comporte un portrait de lui-même lorsqu'il était enfant et une photo actuelle, ainsi que le numéro que les nazis avaient tatoué sur le bras de son frère jumeau lors de leur arrivée à Auschwitz: A7734. Elle a déjà été vue par plus d'1,4 million de personnes. L'idée d'utiliser Facebook pour faciliter cette recherche n'est pas du septuagénaire mais de la chercheuse en généalogie Ayana KimRon, explique Der Spiegel:
«La scientifique israélienne a entendu parler de Menachem il y a un an. Elle avait alors lu sur un forum de généalogie un appel avec le titre: “Je suis un jumeau Mengele et cherche mon frère”. Le message avait été écrit par une cousine de la compagne de Menachem. Lui-même avait déjà perdu espoir de trouver Jeno.»
Les recherches d'Ayana KimRom ont pour l'instant permis à Menachem B. de connaître son vrai nom, Elias Gottesmann, que le petit garçon de 5 ans qu'il était en 1945 avait été incapable de dire à son père adoptif, prétendant alors s'appeler «Mendele», nom dont la ressemblance avec «Mengele» fait froid dans le dos.
Menachem B. a également retrouvé plus de 70 membres de sa famille en Hongrie et obtenu la preuve que son frère jumeau a lui aussi survécu à son passage entre les mains du docteur Mengele: un document de la Croix Rouge polonaise indiquant qu'un certain Jeno Gottesmann a été transporté dans un hôpital et est en bonne santé.
Pour Ayana KimRom, citée sur Der Spiegel, ce n'est désormais plus qu'une question de temps:
«Il suffit qu'un seul petit enfant de Jeno voit l'appel, ensuite nous pourrons à nouveau réunir les deux frères.»
Un espoir pas si fou puisqu'il est déjà arrivé que des survivants des camps de la mort se retrouvent des décennies plus tard grâce à Internet. Comme le relatait NBC News en 2009, deux rescapés d'Auschwitz, Menachem Sholowicz et Anshel Sieradzki, s'étaient découvert un passé commun en échangeant les numéros tatoués sur leurs bras. Le second expliquait alors:
«Nous sommes des frères de sang. [...] A partir du moment où je rencontre quelqu'un qui était là-bas avec moi, qui est passé par ce quoi je suis passé, qui a vu ce que j'ai vu, qui a ressenti ce que j'ai ressenti –à partir de ce moment nous sommes des frères.»