Le sénateur républicain Rand Paul a réussi à parler pendant 12 heures et 52 minutes à la suite et obtenu en contrepartie... une réponse de trois lignes. Le parlementaire américain s'est livré, mercredi 6 mars, à un bel exemple de la version américaine de l'obstruction parlementaire, appelée filibuster: cela consiste à prendre la parole et à ne plus la lâcher, pour débattre d'une proposition de loi ou bien d'une nomination effectuée par le président.
On était dans ce deuxième cas, puisque Rand Paul bloquait ainsi la nomination de John Brennan au poste de directeur de la CIA. En commençant mercredi matin, il voulait protester contre le manque de transparence du programme d'assassinats ciblés par drones, dont John Brennan est à l'origine, et voulait plus précisément que la Maison Blanche affirme officiellement qu'elle n'utiliserait pas ces drones sur le territoire américain.
Pas de plan
Rand Paul a parlé près de 13 heures alors qu'il n'avait pas prévu ce filibuster, explique-t-il à Politico:
«Le truc bizarre, c'est qu'on avait pas vraiment de plan. On est venus ce matin en pensant que le débat [sur Brennan] serait demain... Je ne l'avais pas prévu. Je n'ai pas porté mes chaussures les plus confortables. J'aurais porté des chaussures différentes.»
Il a tenu en se servant régulièrement dans le tiroir à bonbons du Sénat (oui, il y a un tiroir à bonbons au Sénat américain) et en ne buvant pas trop d'eau, même s'il a au final dû abandonner à cause d'une trop forte envie d'uriner.
Il refusait d'arrêter de parler tant qu'il n'obtiendrait pas une promesse écrite du Président ou du ministre de la justice de ne pas utiliser de drones contre les Américains aux Etats-Unis, et il l'a finalement obtenue: ce jeudi 7 mars, l'attorney general Eric Holder lui a répondu dans une lettre de trois lignes, dont la majeure partie est une citation du sénateur...
«Il a été porté à mon attention que vous avez désormais posé une question supplémentaire: "Le Président a-t-il autorité pour utiliser un drone armé pour tuer un Américain non engagé dans un combat sur le sol américain?" La réponse à cette question est non.»
Le sénateur Rand Paul n'est pas le parlementaire qui a tenu le plus longtemps en filibuster: en 1957, le démocrate Strom Thurmond avait réussi à parler pendant 24 heures et 18 minutes pour bloquer le passage de la loi pour les droits civiques permettant aux noirs de voter (ses collègues avaient profité d'une disposition du règlement pour lui permettre d'aller se soulager au bout de plusieurs heures, avant de recommencer de plus belle).
Comme on l'expliquait juste après la réélection d'Obama, le filibuster, ou la menace d'y avoir recours, est devenu très courant, de la part des Républicains aujourd’hui mais aussi des Démocrates sous Bush, pour faire céder l’autre parti ou le président.
En 2009, les Républicains ont battu un record avec 100 filibusters en moins d’un an. Quelques mois plus tard, le sénateur Al Franken prenait la parole devant ses collègues pour critiquer cet usage abusif :
«C’est une perversion du filibuster et une perversion du rôle du Sénat. Avant, le filibuster était réservé à des sujets de grande importance, aujourd’hui c’est devenu un moyen de jouer la montre.»