Monde

Le procès de Bradley Manning menace le journalisme d’investigation

Temps de lecture : 2 min

Bradley Manning le 6 juin 2012 à Fort Meade dans le Maryland, REUTERS/Jose Luis Magaua
Bradley Manning le 6 juin 2012 à Fort Meade dans le Maryland, REUTERS/Jose Luis Magaua

Si le gouvernement américain s’attaque avec autant de détermination à Bradley Manning, cet ancien analyste du renseignement accusé d’être à l’origine de la fuite des câbles diplomatiques de WikiLeaks en décembre 2010, pourquoi ne s’en prend-il pas à Bob Woodward, le plus célèbre des journalistes d’investigation des Etats-Unis qui a dévoilé à d’innombrables reprises des informations bien plus secrètes et sensibles?

C’est la question que pose Glenn Greenwald, journaliste au Guardian, dans un passionnant article sur les possibles implications du procès militaire de Manning, dont les conditions d’incarcération ont été très difficiles et qui risque la prison à vie pour avoir «aidé l’ennemi». Greenwald expliquait déjà il y a quelques mois le problème que pose ce genre de procès contre des sources de WikiLeaks:

«Si quelqu’un peut être poursuivi pour avoir “aidé” ou avoir “communiqué” avec l’ennemi en ayant fait fuiter des informations à WikiLeaks, alors pourquoi une personne qui fournit des informations à tout autre média comme le New York Times, le Guardian ou ABC News ne commet pas le même crime?»

Les médias sont évidemment au cœur de l’affaire des câbles diplomatiques, puisque WikiLeaks s’était associé à cinq journaux (Le Monde, The New York Times, The Guardian, El Pais et Der Spiegel) pour publier les document secrets. Le New York Times justement a été pointé du doigt par Eliza Gray sur le site de The New Republic pour n’avoir envoyé aucun journaliste couvrir les auditions préalables au procès de Manning, qui doit avoir lieu en juin 2013, alors que le journal a bénéficié des informations pour lesquelles il risque la prison à vie:

«Si le gouvernement maintient le chef d’accusation le plus monstrueux contre [Manning] et le condamne à la prison à vie, son cas fera beaucoup pour réduire au silence les dénonciateurs fédéraux de toutes sortes sans qui des journaux comme le New York Times verraient soudainement la source de nombreuses informations pouvant potentiellement amener des prix Pullitzer se tarir. Pour les journalistes, les lecteurs et les amoureux de la démocratie, c’est une pensée inquiétante.»

La situation est d’autant plus dérangeante que tous les révélateurs d’informations classifiées ne sont pas égaux face aux procès du gouvernement américain. Car si l’administration Obama mène une guerre ouverte contre les «taupes» du bas de la hiérarchie politique et militaire comme Bradley Manning, le célèbre journaliste d’investigation Bob Woodward, à l’origine notamment du scandale du Watergate, continue à diffuser des secrets fournis par les plus hauts responsables de l’administration sans être inquiété, comme le soulignait Mike Isikoff sur NBC News en 2010, cité par Glenn Greenwald.

Le livre de Woodward intitulé Les guerres d’Obama révèle ainsi des secrets d’une grande importance stratégique et les disputes au sommet de la hiérarchie américaine, à tel point qu’Oussama ben Laden a lui-même conseillé la lecture du livre aux Américains. Conclusion de Glenn Greenwald dans le Guardian:

«Ce n’est pas le dévoilement d’informations classifiées en général que veut punir l’administration Obama. Elle veut punir, et décourager, les fuites qui donnent une mauvaise image du gouvernement américain en relatant ses mauvaises actions. Bob Woodward est un journaliste-serviteur des responsables du gouvernement américain, et ses fuites permanentes et non-autorisées d’informations hautement secrètes et sensibles servent ces responsables, et ne sont donc pas mal vues, même si elles sont sans doute autant criminelles, voire plus.»

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