La campagne numérique de Barack Obama en 2008, considérée depuis comme un modèle d’engagement en ligne des électeurs et volontaires, masque une réalité politique bien différente dans le monde occidental: les partis et les candidats se révèlent incapables de répondre à l’outil le plus rudimentaire de communication web: l’email, comme le relate un article de The Monkey Cage.
L’étude du politologue Cristian Vaccari [PDF] de l’université de Bologne, conduite entre 2007 et 2010 sur 142 partis et candidats en Australie, en Europe et aux Etats-Unis, remet largement en cause l’affirmation selon laquelle les organisations politiques de campagne se sont adaptées avec succès à l'ère de la communication en ligne.
Deux emails ont été envoyés à chacun des partis et candidats, l’un demandant des précisions sur une question politique, l’autre proposant de se porter volontaire. En moyenne, deux tiers des emails sont restés sans réponse. Certes, les demandes de volontariat ont obtenu un taux de réponse (38%) légèrement supérieur à celles concernant une question politique (34%).
Sur The Monkey Cage, les résultats de l'étude de Cristian Vaccari
(en rouge, le taux de réponse à la demande de volontariat, en bleu, le taux de réponse à la question politique)
Pourquoi un tel manque de réactivité de la part des organisations politiques?
Cela peut s’expliquer par la nécessité pour les partis d'établir des priorités dans l’utilisation de leurs ressources. Or répondre à un grand nombre d’emails de façon individuelle demande du temps et de la main d’œuvre, deux ressources que les équipes de campagnes doivent employer de la manière la plus efficace et stratégique possible.
Dans le détail, l'analyse par variables du taux de réponse fait apparaître que les gros partis répondent évidemment plus que les petits, et que les partis répondent plus que les candidats. Cela s’explique par le fait que les partis ont un personnel plus important et que les routines organisationnelles y sont mieux installées que dans les équipes de campagne de candidats.
Les partis progressistes et de centre-gauche répondent plus que les partis conservateurs. Contrairement à une idée reçue qui veut que la présence des partis radicaux soit plus importante sur les médias numériques parce qu'ils ont plus de difficultés à accéder aux grands médias de masse, l’étude révèle que les partis d’extrême droite et d’extrême gauche sont ceux qui répondent le moins.
En 2012, les élections présidentielles américaine et française avaient déjà permis de relativiser l'influence d'Internet dans les campagnes.
Comme l’a écrit Cécile Dehesdin sur Slate à propos de la campagne présidentielle américaine de 2012, les Américains se posaient avant les élections «la même question que nous il y a six mois sur l'influence d'Internet, et plus particulièrement des médias sociaux (Facebook, Twitter, YouTube...), sur la course à la présidence».
Sur Mashable, le blogueur Adam Hanft rappellait ainsi qu'une théorie voulait que 2012 serait l'année où Internet ferait la campagne, où les nombreuses données rendues disponibles par les réseaux sociaux permettraient aux stratèges politiques d'identifier ce que les gens veulent et, grâce à des algorithmes, de faire changer d'avis des électeurs.
«Sauf que, poursuit Cécile Dehesdin, aux Etats-Unis comme en France, ça ne fonctionne pas comme ça. Les réseaux sociaux sont très utiles pour énergiser la base électorale de chaque parti, note Adam Hanft, avec des pubs Facebook du genre “Cliquez sur like pour soutenir Mitt”, mais pas pour mobiliser les gens qui ne sont pas un peu investis dans un des candidats.»
Lors de la campagne présidentielle française, Vincent Glad notait lui aussi sur Slate «qu'une “légende urbaine” récente veut que la campagne se joue sur le web, alors que la télévision reste l'influenceur prépondérant». Il ajoutait:
«A l'heure des réseaux sociaux, Internet apparaît davantage comme un outil de mobilisation que de conviction. Pour suivre un compte politique, il faut le liker ou le follower, une forme d'adhésion. Ce qui fait que sur Twitter, comme dans un meeting, on ne prêche souvent que des convaincus, on mobilise sa base plus qu'on ne convainc.»