La navigatrice Samantha Davies a dû abandonner le Vendée Globe le 16 novembre, après que son bâteau a dématé, mais ça ne devrait pas vous empêcher de lire l'interview qu'a fait Paris Match de la seule femme participant à cette course, publiée le 14 novembre.
Mieux, lisez simplement la suite de questions que lui a posées Anne-Cécile Beaudoin:
«Comment s’est passé le départ?
Et Ruben, votre fils, il n’a pas trop pleuré en vous voyant quitter le quai?
Vous reprenez part à la course la plus dangereuse du monde. Etre mère ne vous a pas calmée?
Etes-vous prête à prendre autant de risques qu’avant?
Et votre compagnon, le navigateur Romain Attanasio, il ne grimace pas de vous voir quitter le foyer?
On a un sentiment de surprotection quand on vient de donner la vie. Vous ne culpabilisez pas de laisser votre bébé durant trois mois?
Quand même, trois mois sans sa mère, c’est beaucoup…
Pour un sponsor, n’est-ce pas un handicap de soutenir une jeune maman?
Comment allez-vous rester en contact avec Ruben?
Avez-vous trouvé le temps de vous entraîner après la naissance de Ruben?
Isabelle Autissier, Florence Arthaud, Ellen MacArthur… Ces navigatrices n’avaient pas de bébé à la maison lorsqu’elles ont pris la mer. Vous êtes un cas à part.»
Vous sentez poindre le bout d'un thème? Je suis impressionnée par le calme de la navigatrice qu'on n'interroge donc que sur son statut de mère pendant onze questions (j'omets une relance de la journaliste sur une anecdote que Davies raconte), avec des questions de plus en plus culpabilisantes. Non mais rendez-vous compte, Samantha Davies ose participer à l'une des courses les plus importantes pour son métier plutôt que de rester à la maison pour s'occuper de son fils Ruben, d'un an et deux mois!
Davies explique que ni son fils ni elle n'ont pleuré lors du départ, s'étant tous les deux «préparés à la séparation depuis pas mal de temps». Quand la journaliste lui demande si le fait d'être mère ne l'a pas «calmée», le Vendée Globe étant «la course la plus dangereuse du monde», elle répond qu'une descente de ski l'est bien plus, et qu'elle ne changera pas sa façon de naviguer parce qu'elle est mère, ajoutant qu'elle est déjà d'un naturel prudent. Davies conclut sur le fait qu'elle n'est pas un cas à part, contrairement à ce que pense Match, et que d'autres femmes sont mères et navigatrices.
Son compagnon Romain Attanasio, navigateur lui aussi, vit mieux que la journaliste de Paris Match le fait que Davies participe à la course (et apparemment en tant que père il n'a pas de «sentiment de surprotection»). Bizarrement, je ne trouve pas l'interview que Match a sûrement dû faire sur la difficulté d'être un jeune papa participant à une course transatlantique en avril dernier... pendant laquelle Samantha Davies a gardé seule Ruben.
Comme le note un commentateur de l'article, pas trace non plus d'une interview papa-navigateur de François Gabart, dont le fils a huit mois, et qui devrait d'après la logique matchienne encore plus culpabiliser de laisser son bébé pendant trois mois. Ni du «jeune papa» Louis Burton, qui a abandonné la course le même jour que Samantha Davies.
Match n'est pas le seul journal à choisir d'angler sa couverture de la navigatrice sur son rôle de mère, on notera notamment Ouest France, à qui elle dit que comme elle, «certains concurrents laissent leur famille à la maison» et précise que «sur l'eau, nous serons tous des marins». Elle explique au Guardian s'être habituée aux questions sur son fils et à leurs sous-entendus, et soupire:
«C'est vraiment drôle parce que tout le monde dans cette course est père, mais on s'attend à ce que les mères restent à la maison pour s'occuper des enfants.»
Cécile Dehesdin