Culture

Non, les hipsters ne créent pas de croissance

Temps de lecture : 2 min

Hipsters/craigfinley via Flickr CC License by

C’est un coup dur pour les bobos et les jeunes branchés qui leur dament désormais le pion dans les médias, les hipsters. «Non, écrit Will Doig sur Salon, les coffee shop sympa et le vélo-partage ne constituent pas une politique d’urbanisme en soi». Et les jeunes à moustache qui roulent en vélo fixie ne sont pas les sauveurs de l’économie américaine. Le modèle selon lequel «la coolitude va nous sauver» est une pyramide de Ponzi, poursuit Thomas Frank dans The Baffler.

Pourquoi tant de haine? Parce que la simple présence de hipsters, bobos et autres tribus branchées a longtemps été prise pour un indice de prospérité. Selon la théorie de la creative class de Richard Florida, les profils créatifs peuvent rendre désirable un quartier, une ville ou une région au point de contribuer à son développement économique, y attirant des créateurs d’entreprise et des diplômés séduits par le caractère tolérant, ouvert et la réputation cool de l’endroit.

Le modèle de la classe creative a eu tellement de succès que de nombreuses collectivités territoriales se sont inspirées de la théorie. Ce qui a rendu célèbre Richard Florida est en particulier le Bohemian Index (ou index bohème), qui relie la proportion d’artistes dans un lieu à sa croissance économique, ou encore le Gay Index, qui fonctionne sur le même principe mais avec les gays.

Schéma de la hipstérisation de quartier par Ian David Moss

Autour de la théorie de Florida, s'est popularisé aux Etats-Unis un discours de transformation urbaine un peu tarte à la crème sur la «vibrancy» («sonorité», «résonance», «vitalité») des villes, d’où naîtrait automatiquement le renouveau et la prospérité. «La vibrance est si universellement désirable, si investie d’un pouvoir totématique, que même si nous ne sommes pas vraiment sûr de savoir ce que le mot signifie, nous savons que la qualité qu’il désigne doit être entretenue», plaisante ainsi Thomas Frank dans l’article de The Baffler. Ce qui donne en résumé et en cliché: «Rendez “vibrant“ le sud de l’Illinois, et tous ses problèmes disparaitront». L'idée s'est alors répandue qu'il suffisait de promouvoir des lieux et activités artistiques pour régler les problèmes locaux, de la délinquance à l'emploi.

L’idée était séduisante et avait le mérite de valider l’intuition des hipsters eux-mêmes. «J’adorais cette idée car étant moi-même écrivain freelance, cela me rendait important. J’étais pauvre, mais d’une certaine manière je rendais les autres riches!», déchante aujourd’hui Frank Bures dans Thirty two Magazine, qui a vécu à Madison dans l'Etat du Wis­con­sin.

Or «les indicateurs de la classe créative utilisés par Florida ne sont corrélés avec aucune mesure connue de la croissance économique», poursuit dans Thirty Two Chris Far­icy, professeur de sciences politiques à l’université de l’Etat de Washington. Ancien habitant de Madison, le professeur de géographie Jamie Peck a lui aussi mis en lumière les failles de la théorie parue en 2002:

«Ce qui me manquait à Madison, c’était une preuve que la présence d’artistes, de gays ou d’immigrés était la cause du développement économique. C’était une connerie de dire que le mode de vie bohème menait l’économie de Madison. Ce qui la menait, c’était le secteur public qui dépensait de l’argent pour l’université, et non la dynamique que décrivait Florida».

Ce n’était pas la créativité qui expliquait le dynamisme économique des villes, mais le niveau d’éducation: le capital humain. Et il se trouve que les gays, les artistes, les hipsters en sont généralement dotés.

Faut-il pour autant mettre à la poubelle toute référence à la coolitude dans le développement urbain? Non, bien entendu. Les arts, les galeries, les musées, les parcs, les pistes cyclables peuvent être recherchés pour ce qu’ils sont: ils rendent la ville plus intéressante, plus vivante et plus humaine, conclut Frank Bures. Mais pas plus profitable.

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