L'organisation World Press Photo a désigné il y a quelques jours le lauréat de son très célèbre concours de photographies de presse, comme chaque année depuis 1955.
L'espagnol Samuel Aranda remporte l'édition 2012 avec un cliché pris dans une mosquée en octobre 2011 pendant les affrontements de Sanaa au Yémen, montrant un homme blessé dans les bras d'une femme portant le voile intégral.
Cette photographie, bien qu'emblématique du printemps arabe, fait débat selon le site spécialisé Conscientious, parce qu'elle n'est pas sans rappeler «l'ambiance d'une peinture de la Renaissance»:
«Elle est assimilée à l'iconographie chrétienne (qui a été produite avant et après la Renaissance donc): La Pietà, représentant la Vierge Marie berçant le corps de Jésus […]. Si vous avez suivi les nouvelles de la dernière décennie, même juste de loin, vous pouvez réaliser que l'aide d'un langage visuel qui ne pouvait pas être plus chrétien pour dépeindre un événement dans un pays musulman pourrait poser problème.»
Cette «Pietà islamique» pose donc le problème de l'intelligibilité d'une photographie, le message qu'elle renvoie pouvant être interprété différemment en fonction de la manière dont elle est expliquée:
«Prenez, par exemple, la photo d'un soldat fatigué de Tim Hetherington: Ce n'est pas une photographie de l'Afghanistan. Ce n'est pas une photo de la situation là-bas, il ne dit rien sur la souffrance des gens là-bas. Au lieu de cela, il se concentre sur un soldat de l'Ouest, et la photographie exprime ce que nous ressentons tous: nous sommes fatigués de cette guerre (sans vraiment comprendre ce qui se passe là-bas).»
Cette vision occidentale appliquée à une photographie est récurrente, rappellent les Dernières Nouvelles d'Algérie, faisant référence à la «Madonne de Bentalha», lauréate en 1997 de ce même concours de photojournalisme.
Le site Buzzfeed dresse d'ailleurs une rétrospective des photographies couronnées depuis 1955, nous donnant ainsi la possibilité de mieux interpréter l'image ou du moins d'essayer.
«À moins que nous apprenions à aller au-delà de nos lectures simplistes de la photographie, nous allons tout simplement être coincé avec ce que nous pourrions tout aussi bien appeler Western Press Photo ("Photographies de presse occidentales").»