Appelé au chevet du Quai d'Orsay, on promettait à Alain Juppé toute la
latitude nécessaire pour laver l'honneur de la diplomatie française.
Mais Nicolas Sarkozy ,en déclarant le jeudi 10 mars qu'il envisageait une intervention
militaire en Libye avec des frappes aériennes ciblées, a
prouvé que «le patron de la politique étrangère française restait le président de la République», a expliqué Maurice Szafran, le PDG de Marianne, lors d'un débat sur France Infos.
Avec son «grand retour au Quai d'Orsay», Libération parlait d'Alain Juppé comme d'un vice-président en puissance, le nouvel homme fort du gouvernement. Un brin lyrique, Alain Duhamel annonçait dans son édito du jeudi 3 mars dernier:
«L’affaissement du sarkozysme le métamorphose soudain en sauveur (...) Alain Juppé est de retour en grand équipage et ce n’est pas pour jouer les seconds rôles.(...) Il était demandé et non pas demandeur, il a donc pu obtenir la garantie de disposer d’un véritable espace d’autonomie. (…) La nomination de Claude Guéant au ministère de l’Intérieur favorise ce changement, presque cette rupture. Michèle Alliot-Marie était une sorte de ministre déléguée aux Affaires étrangères auprès de l’Elysée, Alain Juppé sera un super-ministre des Affaires étrangères.»
Un nouveau Kouchner?
Prérogative présidentielle oblige, le retour à la réalité est quelque peu brutal. Recevant à l'Elysée le Conseil national libyen des insurgés, Nicolas Sarkozy a proposé des «frappes aériennes ciblées» afin de restreindre les bombardements sur la population ordonnés par Mouammar Kadhafi. Selon Maurice Szafran, Alain Juppé présent au Parlement européen au même moment, n'aurait pas été prévenu de cette décision:
«Il l'a appris carrément en direct depuis Bruxelles, il n’était absolument pas au courant.»
Sur Twitter, Nicolas Domenach, un autre journaliste de Marianne, a décrit «le visage de Juppé apprenant à Bruxelles les initiatives solitaires de Sarkozy sur la Libye: entre stupéfaction et rage...»
Cette décision présidentielle est-elle la«première couleuvre avalée» par Alain Juppé? Comme le confiait un diplomate à Libération en février dernier, seules les périodes de cohabitation ont permis aux ministres des Affaires étrangères «d'avoir un vrai rôle car, autrement, la politique étrangère se
fait exclusivement à l’Elysée».
Alors qu'en juillet dernier, Alain Juppé signait avec Hubert Védrine une tribune afin de
dénoncer l'affaiblissement du Quai d'Orsay, acceptera-il aujourd'hui
sa relégation au second plan à l'instar de ses prédécesseurs Michelle Alliot-Marie ou
Bernard Kouchner?
Photo: Alain Juppé, le 15 novembre 2010. REUTERS/Charles Platiau