Lundi 7 février, les habitants de Kirrwiller, un village d'Alsace, se sont réveillés avec un agréable tract dans leur boîte aux lettres. Le papier bleu ciel les invite à signaler aux autorités «les individus d'apparence pays de l'Est», à la suite d'une recrudescence de cambriolages dans les villages de Truchtersheim-Hochfelden depuis décembre, rapportent les Dernières Nouvelles d'Alsace.
Les étudiants en jouranlisme du Cuej de Strasbourg se sont procurés le document. Pour lutter contre ces vols, non seulement les gendarmes de la ville y invitent les habitants à dénoncer «tout comportement suspect d'individus étrangers à la commune et plus particulièrement les personnes originaires des pays de l'Est et des Balkans (Roumains, Croates, Serbes, Bulgares, etc.)», mais à ne pas se sentir coupables d'informer les autorités de leur présence:
«Le commandant de la brigade de Hochfelden vous sollicite pour sensibiliser l'ensemble de vos concitoyens par le biais de vos conseillers municipaux et agents municipaux [...] il faut nous signaler toute personne d'apparence pays de l'Est séjournant dans vos communes. Il ne faut pas avoir de crainte de déranger la gendarmerie, c'est uniquement de cette façon qu'on arrivera à enrayer le phénomène de cambriolages. Pensez aux victimes.»
Ce tract reproduit en fait un mail envoyé par le commandant de brigade de la commune dont dépend Kirrwiller, et qui ne devait en aucun cas sortir de leurs services, d'après la gendarmerie. C'est le maire, Patrice Dietler, qui l'a fait distribuer par un employé communal, car il estimait «normal» d'alerter les habitants. Plusieurs bâtiments publics du village de 500 habitants ont été dégradés récemment, ce qui l'aurait poussé à vouloir alerter les habitants sur la présence de «camionnettes blanches». «Mieux vaut prévenir que guérir,» a-t-il expliqué aux Dernières Nouvelles d'Alsace.
Les gendarmes, eux, se défendent d'avoir voulu communiquer ce mail aux riverains. «Ce courrier a été envoyé aux maires à titre d'information. Il ne devait en aucun cas être diffusé au public», explique le colonel Patrick Touron, commandant du groupement de gendarmerie du Bas-Rhin. Il qualifie la divulgation de ce tract de «grande maladresse», en expliquant que la gendarmerie se refuse à toute discrimination.
Des étudiants du Cuej de Strasbourg sont allés interroger des habitants de Kirrwiller, qui semblent partagés sur le tract. Une habitante dit n'en avoir tout simplement «pas tenu compte». Un homme âgé adopte une position plus partagée:
«D'un côté c'est une bonne chose d'alerter tout le monde, d'un autre côté ça fait un remue-ménage, parce qu'on ne peut pas accuser des personnes si on n'a pas de détails. Des Roumains, des Croates... mais il y a aussi des voleurs parmi nous.»
C'est bien l'avis de l'ancien maire, qui trouve cette stigmatisation exagérée et préfère prendre la chose avec humour:
«Des gens des pays de l'Est, mais qu'est-ce que ça veut dire? Nous-mêmes on est des pays de l'Est, on est Alsaciens!»
Photo: Un habitant de Kirrwiller, capture d'écran de la vidéo du Cuej