Samedi 1er janvier, c’était le Public Domain Day: le jour où les promoteurs de la culture libre célèbrent le passage dans le domaine public de romanciers ou d’essayistes. Selon le site consacré à cette journée, la «cuvée» 2011 comprend notamment, pour la plupart des pays du monde, les romanciers américains Francis Scott Fitzgerald et Nathanael West, le révolutionnaire soviétique Léon Trotsky et son compatriote romancier Mikhaïl Boulgakov et le philosophe allemand Walter Benjamin.
Ces auteurs sont en effet morts au cours de l’année 1940. Or, la plupart des législations font tomber un écrivain dans le domaine public le 1er janvier suivant les soixante-dix ans de son décès: c’est notamment le cas en France, selon le Code de la propriété intellectuelle. On peut alors les rééditer librement sans payer de droits.
La liste de Public Domain Day ne donne pas de noms d’auteurs francophones concernés, mais on peut les chercher en épluchant la liste des écrivains morts en 1940. A priori, l’oeuvre la plus connue qui vient de tomber dans le domaine public est La Guerre du feu, du Belge J.-H. Rosny aîné, adaptée au cinéma par Jean-Jacques Annaud. L’écrivain français le plus célèbre disparu en 1940 est Paul Nizan (Aden Arabie, La Conspiration, Les Chiens de garde) mais ses héritiers doivent théoriquement bénéficier d’une prolongation de trente ans de leurs droits car il est mort au front pendant la Seconde Guerre mondiale, en mai 1940.
Traduction contestée
Cette règle des soixante-dix ans n’est pas sans exceptions: ainsi, contrairement à la France, la Russie protège les oeuvres posthumes (comme le chef-d’oeuvre de Boulgakov, Le Maître et Marguerite) pendant soixante-dix ans à compter de leur publication, et non de la mort de l’auteur. Aux Etats-Unis, beaucoup d’oeuvres produites au cours du XXe siècle, elles, ne tomberont dans le domaine public que 95 ans après leur publication —dans son pays d'origine, Gatsby le magnifique de Fitzgerald (1925) devra donc attendre 2020...
En attendant, le passage dans le domaine public du célèbre roman fait déjà polémique en France, où l’éditeur POL publie ses jours-ci, sous le simple titre Gatsby, une nouvelle traduction, due à la romancière Julie Wolkenstein. Sous le titre «Touche pas au Gatsby», Frédéric Beigbeder estime ainsi dans Le Figaro que «ce n'est pas parce que Fitzgerald est tombé dans le domaine public [...] qu'on peut prendre toutes les libertés avec lui» et que la nouvelle traduction «donne la même impression que d'entendre un standard des Beatles massacré dans un karaoké par un étudiant en musicologie ne tenant pas le gin-tonic». Il déplore par exemple que la nouvelle version change la célèbre dernière phrase du roman
«Car c'est ainsi que nous allons, barques luttant contre un courant qui nous ramène sans cesse vers le passé»
en
«C'est ainsi que nous nous débattons, comme des barques contre le courant, sans cesse repoussés vers le passé»
Gatsby le magnifique, qui fera l’objet prochainement d’une nouvelle adaptation au cinéma avec, après Robert Redford et Mia Farrow en 1974, Leonardo DiCaprio et Carey Mulligan, n’en est de toute façon pas à sa première réécriture contestée. Il y a un peu plus d’un an, il faisait en effet partie du recueil La Twittérature, regroupant des classiques de la littérature résumés en vingt messages de format et de style Twitter.
Photo: l'affiche de l'adaptation cinématographique de Gatsby le magnifique par Jack Clayton, avec Robert Redford et Mia Farrow (Paramount).