La leçon de droit des juges de Grenoble à Brice Hortefeux –qui ont confirmé le maintien en liberté du second braqueur présumé du casino d'Uriage– n'était rien face à la colère des magistrats français après un long entretien du ministre de l'Intérieur au Figaro Magazine.
Tout au long de l'entretien, il félicite le travail de la police et des gendarmes, c'est à dire les fonctionnaires de son administration, et regrette celui des magistrats. Il a beau répéter qu'il ne met «pas en cause l'institution judiciaire», il se montre exaspéré par les réponses des juges aux derniers faits divers français.
Le ministre ne se contente pas de désavouer le travail des juges, ils propose carrément des réformes de la justice. Il se prononce ainsi pour le passage de la majorité pénale de 18 à 16 ans, estimant que la loi «n'est plus adaptée aux mineurs d'aujourd'hui». Il propose qu'un jury populaire décide d'accorder la libération conditionnelle à un prisonnier, et appel à réfléchir à une élection des juges de l'application des peines et des présidents de tribunal correctionnel.
Il voudrait aussi abroger l'aménagement en semi-liberté ou placement sous bracelet électronique des peines inférieures ou égales à deux ans de prison ferme, c'est à dire une disposition adoptée par son propre gouvernement en 2009, à l'initiative de sa collègue –et ministre de tutelle des magistrats– Michèle Alliot-Marie. En bref, un retour en arrière, où cet aménagement ne serait possible que pour les peines de prison inférieures à un an.
La réaction des magistrats à cet entretien est immédiate. Dans les mots pince-sans-rire du secrétaire général adjoint du Syndicat de la Magistrature:
«Je comprends que Monsieur Hortefeux soit en colère contre les magistrats étant donné qu'il vient d'être condamné pour injure raciale.»
Le président de la 12e chambre correctionnelle de Paris a lui dénoncé les propositions du ministre comme des «provocations qui visent à entretenir le rejet et la défiance de la population vis-à-vis de la justice», et estimé qu'elles n'étaient qu'un signe de plus qu'on était «en train de rentrer dans un état policier», jugeant l'ingérence du ministre de l'Intérieur dans le domaine de la justice scandaleuse.
Michèle Alliot-Marie n'a pour l'instant pas réagi en personne, mais le Nouvelobs.com a interviewé son porte-parole:
« Je vous rappelle que lorsque Michèle Alliot-Marie était à l'Intérieur, elle n'a jamais critiqué le fonctionnement de la Justice. De même, en tant que Garde des Sceaux, elle n'a jamais critiqué les actions du ministère de l'Intérieur. Cela ne l'empêche pas néanmoins de prendre la parole lorsqu'elle estime que cela est nécessaire et légitime.»
D'après Le Monde, la garde des sceaux a sans doute décidé d'éviter le conflit parce qu'elle est soutenue par François Fillon. Le premier ministre a téléphoné à Brice Hortefeux pour lui dire «qu'il ne voulait pas de jury populaire en correctionnelle, ni d'un abaissement de la majorité pénale de 18 à 16 ans, ni d'une élection des juges d'application des peines». C'est un conflit entre le premier ministre et le président qui se dessine en filigrane: Fillon défend MAM, Hortefeux s'appuie sur les idées de Sarkozy, qui avait évoqué en premier l'idée des jurys populaires en correctionnelle.
Photo: Des juges en janvier 2010 REUTERS/Charles Platiau