«Willy Ronis a découvert le Luberon en 1947 et a fini par s'y installer définitivement, en 1972. Il y a mené de nombreux reportages et avait en permanence son appareil photo avec lui, avec l'envie, toujours, de montrer les gens au quotidien», raconte Gérard Uféras, exécuteur testamentaire et co-détenteur du droit moral de l’œuvre de Willy Ronis mais aussi co-commissaire de l'exposition «Le Luberon de Willy Ronis» qui se tient à Cavaillon. Soixante de ses photographies, prises dans les villes et villages du Vaucluse entre 1947 et 1979, sont exposées à la Chapelle du Grand-Couvent jusqu'au 2 novembre.
«L’année dernière nous avons organisé une exposition dédiée à Willy Ronis au Pavillon Carré de Baudouin à Paris qui a attiré 100.000 visiteurs, raconte Gérard Uféras. C’est elle qui a donné envie à la mairie de Cavaillon de faire à son tour une exposition sur l’œuvre du photographe sachant qu’il avait habité la région du Lubéron pendant assez longtemps. Willy Ronis a découvert la Provence en 1947. Raymond Grosset, directeur de l’agence Rapho (que Willy Ronis avait intégré dès l’après-guerre) lui avait alors demandé de profiter de ses vacances dans le midi pour réaliser un reportage sur le peintre et théoricien de la peinture André Lhote et son école d’été à Mirmande, dans la Drôme.»
«Il s’est tellement bien entendu avec André Lhote que ce dernier lui a proposé de poursuivre son reportage dans son autre école d’été située à Gordes. Willy Ronis est tombé amoureux de ce village. C’est d’ailleurs là-bas qu’il a fait le célèbre portrait du peintre tenant à la main un cadre vide devant la vallée d’Apt. Cette photo fait l’ouverture de l’exposition.»
«Nous tenions à ce que toutes les photos connues, comme le nu provençal ou Vincent aéromodéliste, soient présentes dans l’exposition. J’aime beaucoup cette photo de son fils qui lance un petit avion parce que cette image dégage une magnifique douceur familiale. Mais nous voulions ausi avoir des photos très différentes.»
«Nous avons donc travaillé sur les albums de Willy Ronis qu’il avait constitués avec les photos qu’il considérait comme le cœur de son œuvre. Il avait commencé à se pencher sur ce testament photographique en 1983 et avait continué jusqu’à sa mort en 2009. Pendant toutes ces années, il est revenu à plusieurs reprises sur ses choix. Au final, il a gardé 590 photos réparties dans six albums. Ces derniers n’ont pas de thèmes particuliers, ils parcourent toute l’oeuvre.»
«Dans ces albums, nous avons pris toutes les photos qui concernaient le Luberon. Il y en a beaucoup car Willy Ronis avait le projet de faire des livres et des expositions sur la région. Il y a mené de nombreux reportages très précis, sur les métiers etc. Il avait en permanence son appareil photo avec lui. Beaucoup de photos ont donc aussi été prises dans le cadre de sa vie familiale, de balades dans la région à pied ou en moto, lors des marchés etc.»
«Willy Ronis était un homme merveilleux, d’une immense culture. Il voulait être compositeur mais son père, qui avait un studio photo sur le boulevard Voltaire à Paris, est tombé malade. Il a demandé à Willy de venir l’aider à l’atelier et c’est comme ça que Willy est entré dans la photo -même si son père lui avait déjà offert un appareil photo quand il avait 15 ans. C’était aussi un amateur fou de musique qui dessinait beaucoup et se faisait l’œil dans les couloirs du Louvre.»
«Ce fut était un homme profondément concerné par ce qu’il considérait comme ses frères humains, leur vie quotidienne mais aussi leurs souffrances et leurs combats. Il a été communiste dès son plus jeune âge et a suivi tous les mouvements sociaux de son époque qu’il a évidemment photographiés. Son intérêt pour les arts, particulièrement la peinture hollandaise, se retrouve dans un goût de la composition très fort. Ce qui est merveilleux dans son travail, c’est l’attention qu’il a pour les autres quand il photographie. C’est quelqu’un qui est toujours à la hauteur de la personne qu’il photographie et qui porte un regard empathique et tendre. On le sent dans son travail et je pense que les gens y sont sensibles.»
«Ses sujets sont souvent très simples et très humbles. Ils montrent les gens au quotidien. C’est ce qu’on a appelé la "photographie humaniste". Il avait une rigueur formidable et il a même à plusieurs reprises mis sa carrière en danger pour des questions morales. En 1951, il interrompt par exemple sa collaboration avec le magazine "Life" auquel il reproche de ne pas respecter ses propres légendes. Il s’exile ensuite en 1972 en Provence alors que la presse vit une crise avec l’arrivée de la télévision qui bouleverse le métier de photographe et il devient enseignant. C’est à ce moment-là qu’il s’installe à Gordes puis à L’Isle-sur-la-Sorgue, avant de revenir des années plus tard à Paris.»