«Je voulais photographier des gens comme moi, des personnes agressées il y a des années mais qui ont encore des ramifications et ne font que commencer à y faire face», explique Kate Ryan. Depuis octobre 2017, cette photographe américaine se consacre à un projet, Signed, X, qui rassemble les témoignages et les portraits de personnes ayant subi des violences sexuelles. «Ce projet se situe quelque part entre le journalisme, l'art et l’album photo. J'avais besoin d'un format non traditionnel pour faire une déclaration non traditionnelle: la façon dont je “guéris” ou ne “guéris pas” est différente de celle des autres survivantes et survivants. Nos histoires ne peuvent pas être réduites à un seul instant. Si nous comptons faire face à ce sujet, nous devons rendre le récit plus complexe.»
«Lors de mon dernier semestre d'études supérieures, j'ai décidé de relever un nouveau défi de photographie. J'admire les photographes qui tournent leurs appareils photos vers leurs propres communautés. Elles et ils voient des choses qu'une personne étrangère ne pourrait pas remarquer. Mais quelle est ma communauté? Les élèves? Ma ville natale? Les Américaines et Américains d'origine irlandaise? Il n'a pas fallu longtemps pour que je décide de me concentrer sur la communauté des victimes d'agression sexuelle. J'en faisais partie et j'étais fatiguée de voir nos expériences simplifiées dans les médias. J'ai envoyé un e-mail à toutes celles et tous ceux à qui je pouvais penser (amis, famille, collègues) et posté des messages sur les réseaux sociaux. J'ai dit que je voulais rencontrer des survivantes et survivants de violences sexuelles et parler de la vie après l'agression. Toute personne intéressée pouvait m'envoyer un message. J'ai commencé en octobre 2017; les réponses sont arrivées lentement et j'ai pris mon temps. J'ai rencontré une personne par semaine. Au moment où j'ai obtenu mon diplôme, le projet a commencé à prendre de la vitesse, et j'ai assez rapidement rencontré des dizaines de personnes.»
«J'avais une idée assez claire des aspects visuels du site internet de Signed, X depuis le début. Je voulais créer un site web qui nous montrerait tous et toutes ensemble en tant que communauté, pour permettre au public de connaître en profondeur chaque personne, de voir à quel point les vies sont compliquées depuis ces agressions. Je voulais que les gens viennent à moi plutôt que de leur demander de parler et de partager si elles ou ils n'étaient pas prêts. Tout s’est fait par le bouche-à-oreille. Je leur ai expliqué que je comptais les interviewer au sujet de leur vie après les violences sexuelles subies, et que nous prendrions des photos après l’interview. J'ai ajouté qu'elles ou ils pouvaient être anonymes. Des dizaines de personnes m’ont contactée pour participer depuis la publication de l’article dans le New York Times. J’espère que davantage de personnes continueront à vouloir partager leurs histoires afin de présenter une collection aussi diversifiée et représentative que possible.»
«J'ai eu du mal à trouver un titre. J'ai d'abord cherché parmi les mots ou phrases que j'entendais de la bouche des survivantes et survivants dans nos entretiens, mais j’avais peur de choisir une expression qui ne serait pas représentative de tous les membres du groupe. Les mots “victime” et “survivant” sont assez discordants. J'ai donc pensé à la forme. Je trouve ce projet très personnel, un peu comme une lettre. Ces personnes partagent leurs secrets les plus intimes avec vous et vous demandent de les recevoir. Mon titre devait porter là-dessus: la propriété de leur histoire. Chacune d’elles est signée avec le nom ou l’initiale. X est à la fois englobant et peut représenter un individu. Le titre Signé, X porte sur ces personnes, pas sur l'acte de violence. Je pense que cela met le public au défi de s’engager avec ces histoires d’une manière nouvelle.»
«Mon agresseur allait être condamné à trente ans de liberté conditionnelle et enregistré comme délinquant sexuel. Je devais retourner au tribunal et lire ma deuxième déclaration en tant que victime. Je lui ai dit: “Tu penses peut-être que tu as gagné. Peut-être qu'à tes yeux, tu as effectivement gagné. Mais tu devras quand même être menotté au système de liberté surveillée pour les trente prochaines années. Est-ce que cela me fait me sentir mieux? Non. Parce que je sais que tu seras de retour par ici. Et malheureusement, tu le referas à quelqu'un d'autre.” Est-ce que je suis en colère? Et comment! Il m'a fallu beaucoup de temps pour pardonner.» –Jane
«En y réfléchissant maintenant, je pense que j'avais compris où je dormais. Elle me rend malade, cette partie de l'histoire. Il a dû venir dans la chambre, m'a vue endormie, s'est couché près de moi et a enlevé son pantalon. Comment peut-on faire ça à quelqu'un qui dort et qui est inconscient? Je n'arrive pas à comprendre. Je n'en ai jamais parlé à personne. Je commençais tout juste à avoir une relation sérieuse avec un garçon, qui est ensuite devenu mon petit ami. Cela fait six ans, et je ne lui ai jamais dit. Il ne le sait pas. Je pense que c'est l'une des quelques choses que je garde pour moi dans cette relation, parce que j'ai honte.» –K
«À un moment donné, l'idée de confronter mon agresseur est devenue tangible. Je me suis arrêté à l'école et je me suis dit: “Allons faire un tour”. Je ne m'y étais pas rendu depuis quarante-cinq ans. J'ai marché autour, dedans. Je suis allé vers mon ancien casier et rendu dans les différents endroits où j'avais des souvenirs. Il y avait un vide sanitaire sous le bâtiment, avec un sol sale et des ampoules qui pendaient –c'était là qu'il avait l'habitude de m'emmener. Je me suis tenu devant cette porte, et tout est devenu plus vrai. D'une certaine façon, je me suis reconnecté à la personne que j'étais à 16 ans.» –Brian
«Je suis une personne religieuse. Je prie quand je me sens obligée. C'est un peu comme si je disais: “Dieu, écoute. Je suis là. J'ai juste besoin d'un peu de force” , comme si je parlais à mon ami dans le ciel –et cela m'aide clairement. J'aime aussi beaucoup voyager. Je choisis de partir seule, pour me perdre en moi-même et pouvoir fuir, peu importe ce qu'il se passe dans ma vie. Cela peut ne durer que quatre ou cinq jours. Je prends un bon livre, mon carnet, mon journal. Et je suis libérée des problèmes pour un instant.» –Jo
«Quand je racontais aux gens ce qui s'est passé, je poursuivais toujours en disant: “Mais je vais bien, je vais bien.” En octobre de l'année dernière, tout a changé. Je pense que tout était en train de me rattraper. J'ai été diagnostiquée comme souffrant d'un stress post-traumatique: j'avais des pertes de mémoire, des sautes d'humeur extrêmes, des insomnies. On m'a prescrit du Zolpidem et du Xanax. Je fais de l'acupuncture. Les six derniers mois de ma vie ont été un putain d'enfer.» –Melissa
«Je suis tombée enceinte; j'ai avorté. Ma famille est très catholique, mes parents n'ont pas été d'un grand soutien. Mon père est un macho moitié irlandais, moitié italien. Il ne croit pas au sexe avant le mariage. Je voulais avoir une carrière épanouissante et stimulante. Des enfants pouvaient être dans mes projets, mais cela n'était pas le but ultime. Mon père ne m'a pas parlé pendant trois mois quand il a appris pour l'avortement.» –P
«Je traverse différentes phases. Je peux parfois être sexuellement ouverte et disponible. Et il y a des moments où je me ferme totalement, où je n'arrive pas à gérer. J'ai toujours mal; la douleur physique n'est jamais partie. Je ne la ressens pas vingt-quatre heures sur vingt-quatre, mais elle se rappelle toujours à moi. La douleur se déclenche évidemment dès que l'on touche à l'intime. Je suis mariée, j'ai un époux merveilleux, mais je ne suis pas toujours à l'aise quand il s'agit d'intimité. Cela a récemment ressurgi dans nos conversations. J'essaie d'y arriver, mais je ne peux pas précipiter le processus.» –Lauren