Elisa Iannacone a été violée il y a cinq ans. Pour livrer ce qu'elle gardait en elle et partager l'histoire d'autres personnes également violées, cette photographe a mis en place un projet faisant dialoguer les images, les couleurs et les textures. «L’art permet au traumatisme de devenir quelque chose de tangible, raconte-elle. C’est une autre façon de s’exprimer quand les mots ne viennent pas».
Cirque: «Tout autour de moi ressemblait à un cirque.» | Elisa Innacone
«J’ai été violée il y a cinq ans et j’ai découvert que la thérapie par l’art était un médium incroyable pour exprimer mon traumatisme et aller mieux, raconte Elisa Iannacone. J’ai décidé d’explorer cette notion avec d’autres personnes et j’ai découvert qu’il parlait à beaucoup d’entre nous. Ce qui au départ devait être un petit projet réalisé dans ma cuisine s’est transformé en vraie installation artistique que j’ai envie de partager avec le monde pour présenter les violences sexuelles sous un jour différent, avec des survivants qui veulent partager leur histoire et souhaitent que le viol soit un sujet dont on puisse discuter ouvertement.»
Noyade: «Les voies ferrées sont la seule chose que je garde en souvenir. C'est la seule chose que j'ai vu clairement quand j'ai eu l'impression que je me noyais.» | Elisa Innacone
«Il n’y a pas jamais de "bon jour" pour dire au monde que l’on a été violé(e). Mais c’est un cadeau d’être capable d’arrêter d’en faire quelque chose que je dois garder secret, souligne la photographe. Je ne suis pas une exception à la règle. Ce projet est ma façon de guérir et de partager mes compétences afin que d’autres puissent s’exprimer de façon créative. J’espère que cette installation artistique ne sera pas uniquement une façon de nous aider nous, mais aussi d’aider les autres à se refléter dans l’art. Le public aura la chance d’entrer dans nos esprits de survivants d’une manière active. Les images ne nous font pas passer pour des victimes, ce qui perpétue la notion que nous devons d’une manière ou d’une autre être brisé(e)s ! Nous sommes des individus déterminés et nous avons aussi tout un monde en dehors de l’incident. Bien que la cicatrice sera présente pour toujours, elle ne définira pas ma vie.»
Vol et combat: «L'avion m'a emmené à la maison et m'a ramené dans mon pays pour créer l'Organization for rape survivors. En parallèle, j'ai développé mes bases en ballet.» | Elisa Innacone
«Chacune des images a une couleur différente qui lui est associée, explique Elisa Innacone. Dans l’exposition finale, toutes les images seront installées dans le même ordre qu'un cercle chromatique de vingt-quatre couleurs. Du rouge au orange, puis jaune etc. J’avais besoin de trouver un moyen de connecter les images et de les faire appartenir à une série. Associer chaque expérience à une couleur forte m’intéressait. Je crois que cette connexion visuelle ajoute aussi une notion de "spirale" ou de cercle où les histoires n’ont pas de début et pas de fin, où le public peut tourner en rond autour d’une cercle jusqu’à ce qu’il décide d’arrêter. C’est aussi une réflexion sur comment les émotions de chaque expérience sont connectées.»
Belle au bois dormant: «Dans le conte original la princesse dort et le prince la viole. J'avais l'impression d'être la belle au bois dormant et j'aurais pu rester dans cette tour pour toujours.» | Elisa Innacone
«Je crois qu’il y a une chose que partagent tous les survivants: nous avons revécu l’incident dans nos têtes un nombre incalculable de fois. Cela vient avec des questions comme: est-ce que j’aurais pu faire plus? Est-ce que j’aurais pu faire différemment? Est-ce que j’aurais pu empêcher ça? Est-ce que j’aurais pu l’arrêter? Je voulais créer un projet autour des images plutôt que des mots et mettre en valeur des images auxquelles nous sommes devenus attachés après l’agression. Certains des survivants ont dit que ce projet les avait aidé à redéfinir la façon dont ils regardent l’incident et cela leur a permis de se sentir plus forts. Je pense aussi que créer de l’art, que nous développons ensemble, autour d’un traumatisme, apporte un sentiment de libération et d’accomplissement. C’est un peu comme conquérir une situation, la posséder et la maîtriser en quelque sorte.»
Le cadeau: «J'avais cinq ans, il en avait seize. Il a dit: "Si tu montes dans ma chambre je te donnerais un cadeau.» | Elisa Innacone
«Nous sommes dans un moment où la socité parle plus facilement du viol et des violences sexuelles en général. Je pense qu’en tant que société, nous avons la responsabilité de combattre ce que nous croyons être mauvais et que nous devons agir collectivement pour les changer. En tant que photographe, j’ai rapidement appris que les gens n’aiment pas regarder l’horreur et la douleur, et s’il le font, c’est uniquement une fois et rapidement. Je voulais créer un projet qui permette aux gens de regarder et de découvrir les histoires derrière les images, peu importe si c’est par intérêt ou par curiosité. Le projet montrera comment le viol touche toutes les races, les âges et les genres. Il ne s’agit pas seulement de femmes en temps de guerre, ou du fond d’une ruelle, ce sont des mères, des frères, des chefs d’entreprises, des avocats, des docteurs... Je veux que les gens sachent qu’il s’agit de quelque chose qui peut se passer dans leur milieu social ou dans leur famille.»