Bertin Huyn, journaliste pour la version australienne du Guardian, savait que son grand-père, Hoa Huynh, avait été photographe: ses clichés ont toujours été accrochés aux murs des maisons de chaque membre de la famille. «Mais ce que j'ignorais, c'est qu'il y avait derrière ces photos une histoire incroyable», raconte le plus jeune des dix petits-enfants de Hoa Huynh. Il «apprend désormais à connaître [s]on grand-père à travers son art».
«Mon grand-père –mon yeye– s'appelait Hoa Huynh. Il est né en 1928. C'était un immigrant chinois de deuxième génération, installé au Vietnam. Sa famille était originaire d'une ville du sud de la Chine appelée Dongguan et, à l'époque, la Chine était plongée dans une période de troubles après la chute de la dynastie Qing, et la montée des seigneurs de la guerre et du colonialisme occidental.»
«Au Vietnam, sa famille s'est installée dans la ville de Đà Lạt, dans une région montagneuse. À 17 ans, il a appris en autodidacte à photographier et à développer ses clichés. Une école française voisine avait des livres sur la photographie, qu'il lisait pour tout apprendre, de la façon de photographier à la manière de mélanger les produits chimiques et comment installer une chambre noire. Pourtant, je ne l'ai jamais entendu parler un mot de français.»
«Pendant toute l'occupation coloniale française, puis la république vietnamienne qui a suivi, sa famille dirigeait des entreprises et était suffisamment riche pour qu'il puisse avoir un passe-temps tel que la photographie. Il a pu transformer son passe-temps en carrière lorsqu'il a ouvert, dans sa ville, un studio photo qu'il a appelé Lucky Photography, dans les années 1950.»
«À l'époque, c'était surtout des gens riches qui venaient poser dans son studio. Mais ce qui intéressait mon yeye, c'était une autre catégorie de personnes... Son Vietnam, c'est celui où les difficultés et les souffrances de la vie humaine s'expriment dans la beauté et l'émerveillement.»
«Là où beaucoup voient quelque chose de sale et d'usé, lui a vu l'expérience et la maturité. Il a principalement réalisé des portraits et photographié des paysages. Les portraits qu'il prenait étaient uniques et nouveaux, car ses cercles sociaux se moquaient bien des images de labeur et de peuples autochtones.»
«De retour chez lui, disait-on, il devenait un maître de la post-production –une compétence technique qu'il a acquise lorsqu'il a commencé à installer sa chambre noire dans sa cuisine. Armé de pinceaux, de cotons-tiges et de cartons, il jouait avec à flouter ou à accentuer certaines lumières ou mises au point.»
«Lorsque les forces américaines sont entrées en guerre contre le nord du pays, les choses n'ont pas radicalement changé, il avait déjà vécu la précédente occupation française, puis la République du Sud Vietnam. Et ce d'autant plus que Đà Lạt était une station balnéaire rurale construite par les colons français, qui n'avait que peu d'importance stratégique. Elle est donc restée en grande partie indemne. Mais la guerre a entraîné des difficultés économiques qui l'ont obligé à faire moins de photographie.»
«Il a appris seul la couleur et la photographie numérique. Bien que retraité, il s'est plongé tête baissée dans son art, apprenant même comment se servir de logiciels comme Photoshop.»
«Peu de temps avant sa mort, en octobre dernier, il m'a donné son appareil photo reflex à double objectif Rolleiflex, de fabrication allemande –une relique, mais qui fonctionne. C'était l'un de ses premiers appareils photo, trouvé dans les marchés souterrains de Saïgon. Yeye laisse dans le deuil cinq enfants, dix petits-enfants et trois arrière-petits-enfants.»