Brouillée avec son père, Sophie Barbasch a décidé de reprendre contact avec sa famille sept ans plus tard pour comprendre. Depuis, elle construit une série photo qui dépeint les conflits et les malentendus d'une famille dans laquelle «nous nous aimons, mais nous n’arrivons pas à ce que chacun se sente en sécurité». «À quel point pouvons-nous nous appuyer les uns sur les autres dans une famille? Quelles sont les limites? Quand nous rapprochons-nous et nous éloignons-nous?» Son travail s'intitule Fault Line, comme une ligne de faille, l'endroit où la terre se divise lors d’un tremblement de terre.
Wes in the Car, 2014. | Sophie Barbasch
«Je travaille sur ce projet depuis 2013, date à laquelle j’ai rendu visite à Adam, mon plus jeune cousin qui est devenu le sujet principal de ma série. J’ai été submergée par son intelligence, son humour et sa vulnérabilité. Je ne pouvais pas m’empêcher de me sentir liée à lui et j’avais l’impression que nous nous comprenions comme personne d’autres ne pouvait le faire dans la famille. Il était un peu comme mon double.»
Horizon, 2013. | Sophie Barbasch
«Le jour où j’ai vraiment connu Adam, il avait 10 ans et il a dansé sur Nikki Minaj. Plus tard, le même jour, nous sommes allés nous promener sur la plage. Pour le meilleur ou le pire, je lui ai parlé d’égal à égal alors que nous avons dix-sept ans d’écart. Il m’a posé des questions sur la photographie et nous avons parlé longtemps de mon travail. Il semblait comprendre ce que je voulais. Nous avons commencé ce projet ce jour-là avec l’image sur laquelle il fait le pont sur la plage. Adam est un enfant très talentueux et il est comme mon frère. Nous voyons le monde de la même façon, nous avons une sensibilité similaire. Lorsque nous avons commencé à faire des photos nous avions tous les deux envie des mêmes images. Ce projet nous a fortement rapprochés.»
Junkyard, 2014. | Sophie Barbasch
«Les divisions dans ma famille étaient à la fois structurelles (divorce, personnes se déplaçant vers d’autres pays) et émotionnelles (conflits interpersonnels). En 2013, je n'avais pas vu mon père depuis sept ans mais je voulais revenir pour comprendre ce qui s’était passé. J’ai voulu faire des images qui exprimaient des moments du passé: des moments de conflit et d’isolation. Je voulais aussi exprimer le désir que j’avais de me reconnecter à ma famille et d’appartenir à quelque chose. J’ai donc choisi des paysages surréalistes de Brooklin, dans le Maine, pour faire mes photos sur la côte et la forêt. C’est là où vit Adam. Puis au fur et à mesure j’ai décidé de m’incorporer aux images puis mon frère, ma tante, mes cousins et enfin mon père.»
Nightfall, 2014. | Sophie Barbasch
«Mon père et moi avions des conflits et pendant un certain temps nous ne nous sommes pas vus. C’était déroutant et difficile. Encore aujourd’hui notre relation change et se développe, même si cela prend du temps. Revoir quelqu’un dont on a été proche après une longue période sans le voir est très étrange. À certains égards rien n’a changé, mais il y a beaucoup de vides, beaucoup de choses à rattraper. Il a compris mon projet. Il ne pose aucune question. Il accepte toujours de participer. Je photographie avec un trépied et il semble toujours intrigué par ce qu’il considère comme un procédé dépassé. C’est généreux de sa part de prendre part à mon projet parce qu’il me permet d’exprimer mon côté de l’histoire, même si les images sont opaques. Quand je prends les photos je me sens faire partie d’un monde différent. Quand je mets en scène ces images, je deviens la directrice de ce petit monde. Je contrôle pour un bref moment.»
Sun Spots, 2013. | Sophie Barbasch
«Sur les quarante images du projet, seules cinq ne sont pas du tout mises en scènes. Il s’agit notamment des paysages. Certaines sont complètement mises en scène, la plupart sont un entre-deux. Quand il y a deux personnes sur les images, les choses prévues tendent à changer parce que les interactions sont toujours inattendues –par exemple une personne peut être maladroite ou distraite. Parfois, les gens interagissaient, je commençais à les photographier et ils m’oubliaient alors le naturel reprenait le dessus sur la mise en scène.»
At the Wall, 2014. | Sophie Barbasch
«Quand je choisi mes sujets et quand j’édite mon travail, je cherche un certain calme. Peuvent-ils être eux-mêmes mais aussi suggérer quelque chose au-delà de ce qu'ils montrent, quelque chose d’autre? Peuvent-ils être présents tout en donnant l’impression d’être quelque part autre? À quel point peut-on se projeter dans ces personnes? Peuvent-ils offrir une ambiguïté par les expressions de leurs visages et de leurs corps? Ce sont toutes ces questions que je me pose.»
Headlights, 2014. | Sophie Barbasch
«Mon but est de montrer le poids que nous portons tous. La gravité dans mon travail est donc un thème récurrent. Les corps sont soit sur le sol soit luttent pour tenir debout. Les gens s’appuient les uns sur les autres. Dans certaines images, la neige et la lumière deviennent des forces à combattre et pèsent sur les gens. Dans d’autres images, l’orbite des planètes fait à nouveau allusion à la gravité. Ces luttes et cette charge physique fait référence à un poids émotionnel. Je décrirais ce "poids que nous portons tous" comme une tristesse, un sentiment d’isolement et un certain désespoir face aux conflits interpersonnels. Je reste volontairement vague dans la description de ces conflits parce qu’il est inconfortable et peut-être aussi inutile d'entrer dans les détails.»
Discipline, 2014. | Sophie Barbasch
«Mon but est aussi de montrer comment nous sommes liés entre nous et isolés les uns des autres. La plupart du temps il n’y a qu’une personne seule dans mes images. Quand elles sont deux, elles ne se regardent jamais. Si elles se touchent, le toucher est souvent ambigu, jamais complètement attentionné ni hostile. Ces silhouettes souvent solitaires se trouvent dans une nature sauvage et suggèrent l’isolement. Les liens se trouvent dans ces moments de contacts: une personne tient la tête de quelqu’un, deux personnes s’appuient l’un contre l’autre ou sont assis à la même table. Les contacts et l’isolement sont les contradictions que je vois dans ma famille. Nous nous aimons, mais nous n’arrivons pas à ce que chacun se sente en sécurité. Nous sommes intensément loyaux et en même temps profondément critiques. Constamment nous nous attirons et nous rejetons.»
Prisoner Game, 2014. | Sophie Barbasch
«Ces photos montrent plus la séparation que la proximité ou l’intimité. Je ne montre pas d’espaces intimes ou réconfortants –la plupart du temps les photos sont prises à l’extérieur et les sujets ne sont pas protégés. Les éléments naturels sont durs, comme le froid, le soleil, l’espace autour est désolé. Quand je pense à l’intime, je pense à quelque chose de révélé. Au contraire, je pense que ces sujets dans ce travail dissimulent plus qu’ils ne révèlent. Ils sont face à l’appareil photo mais ils ne montrent rien.»
Insulation, 2015. | Sophie Barbasch
«Je conçois mes photos comme des arguments. Il s’agit de ma perspective et de mon expérience. Bien qu’il n’y ait pas de récit explicite, je pense que mes images transmettent une certaine tristesse et une lourdeur.»
My Father's Face, 2015. | Sophie Barbasch
«Je suis également intéressée par les échos. C’est glissant et compliqué de parler de cela, mais je suis intéressée par les échos d’un endroit, les échos qui restent dans un corps, les échos des expériences comme elles sont remémoréss et partagéss. Ces échos sont quelque chose que j’essaie d’évoquer, même s’il est impossible de les saisir.»
Daydream, 2014. | Sophie Barbasch
«Je me dis que quelqu’un qui ne nous connaît pas ne saurait pas en voyant ces photos que nous sommes une famille. Peut-être que ce qui est montré est juste un groupe de personnes cohabitant dans le même espace. En fait, qu’est-ce qui fait qu’une photo est une photo de famille – l’intimité? La ressemblance? Qu’est-ce qui n’est pas une photo de famille? Et pourquoi? Je m’intéresse à ces questions parce qu’elles mènent à d’autres questions, comme les plus élémentaires: qu’est-ce qu’une famille?»