En Russie, Natalia Ershova a photographié des hommes et des femmes qui, de leur plein gré, ont décidé de ne plus sortir de chez eux ou de chez elles. «Les héros de mon projet sont des gens qui quittent rarement leur maison, explique la photographe. Plusieurs travaillent à domicile, d'autres sont aidés par leurs proches. Ce sont des gens différents qui ont en commun de vivre sur internet.»
«Pendant mon diplôme, je suis tombée très malade et, pendant le traitement, on m'a dit de ne pas quitter la maison, raconte la photographe. Je suis restée chez moi pendant près de deux mois et n'ai communiqué que sur internet. Puis, j'ai appris qu'il y a des gens qui choisissent volontairement ce mode de vie, comme Anatoly, 39 ans, qui raconte avoir toujours vécu comme ça.»
«Dès que j'ai obtenu mon diplôme, j'ai commencé à travailler sur ce projet, ça fait presque deux ans. Ces personnes ne se valorisent pas. Elles n'ont aucune envie de se rendre au travail dans des transports bondés, communiquer avec des étrangers et être soumises au stress quotidien d'une grande ville. Svetlana, elle, a adopté ce mode de vie il y a un an.»
«Ces individus communiquent normalement sur internet ou à la maison avec leurs amis et leur famille. Chacun organise très différemment son temps. Certains ne travaillent pas et vivent du soutien de leurs proches, d'autres, au contraire, travaillent et sont programmeurs, designers, rédacteurs. Ils sortent parfois dehors, pour un festival ou un concert, mais c'est très rare, peut-être une fois par an. Eugène, 30 ans, est isolé depuis trois ans et demi.» Il explique: «Je dispose d'une perception du monde qui n'est pas conventionnelle depuis mon enfance, la vie en société m'est devenue impossible et je me suis retiré. Je n'ai aucun regret.»
«Mikhail, 28 ans, vit comme un ermite depuis dix ans. Il a une histoire très triste, confie la photographe. Il est le plus jeune fils d'une grande famille. Il est né dans une famille très pauvre, et les autres enfants de l'école s'en sont souvent pris à lui pour cette raison. Comme il avait des problèmes avec ses enseignants, il a été envoyé dans un internat, puis dans un hôpital psychiatrique pour enfants. En Russie, avec peu d'études, il est impossible d'obtenir un emploi.»
Olga, 27 ans, vit confinée depuis trois ans. «J'aime travailler en freelance: faire des cosplays avec mes personnages préférés, ainsi que des critiques de jeux vidéo.»
«Ces personnes ont choisi ce mode de vie volontairement mais certaines se sentent seules. Elles sont donc nombreuses à avoir des animaux de compagnie, comme Viktor, 30 ans, qui ne sort plus de chez lui depuis dix ans. Quand je suis arrivée devant son appartement, Viktor a mis très longtemps à ouvrir la porte pour me laisser pénétrer dans son royaume de chats. Il y en avait partout et l'un d'eux s'est même faufilé dans mon sac.»
Michael, 26 ans, vit reclus depuis six ans. Il raconte: «Dans une ville, il y a trop de gens avec une mentalité différente, et ils essaient tous de m'imposer leur vision des choses. Ce n'est pas ça la liberté!»
«Il existe un livre de science-fiction qui s'intitule Voyage to the End of the Room, sur une femme qui surveille quelqu'un avec des caméras. Je l'ai lu quand j'étais très petite, et quand j'ai commencé mes photos, l'un des sujets a dit que s'il pouvait voyager seul sur un yacht, il voyagerait beaucoup, mais que jusqu'à présent, tous ses voyages se font à l'intérieur de son appartement. C'est ainsi que le nom de ma série est apparu.»
«Pour certains, leur vie a été rendue encore plus facile avec la pandémie, car tout était en ligne et la livraison de produits et d'objets était devenue gratuite. Mais pour beaucoup, c'était un inconvénient –ils ont parfois perdu leurs employeurs.»