«Pendant des décennies, les Américains ont vu le monde à travers l'objectif des photographes du magazine Life. Ces séries novatrices sont devenues la marque de fabrique de l'hebdomadaire», raconte Marilyn Satin Kushner, commissaire de l'exposition «Life: Six Women Photographers». Pourtant, seules six femmes (Margaret Bourke-White, Marie Hansen, Martha Holmes, Lisa Larsen, Nina Leen et Hansel Mieth) étaient employées comme salariées entre la fin des années 1930 et le début des années 1970, sur 101 photographes. La New-York Historical Society leur rend hommage avec une exposition qui se tient jusqu'au 6 octobre.
«Nous voulions faire une exposition avec des images de la collection Life, car la New-York Historical Society possède désormais les archives Time-Life, explique Marilyn Satin Kushner, commissaire de l'exposition. Nous avons pensé qu'une exposition sur les femmes photographes serait éclairante, d'autant plus que nombre d'entre elles ne sont pas connues. Nous avons ensuite découvert que seulement six photographes sur les plus de cent qui travaillaient pour le magazine étaient des femmes, et il a été décidé de mettre en valeur leur travail. (Certes, beaucoup de femmes ont travaillé pour Life, mais ces six-là sont les seules à avoir été embauchées à plein temps et à avoir été salariées par le magazine tout au long de sa parution, de 1936 à 1972). En 1936, Margaret Bourke-White est devenue l'une des quatre premières photographes à être embauchées par Life.»
«Hansel Mieth a été embauchée par Life un an plus tard. Elle a produit des séries photographiques socialement engagées au cours des sept années qui ont suivi. L'exposition présente la série photographique de Mieth datant de1938 sur l'Union internationale des ouvriers du vêtement pour dames, qui montrait une image flatteuse du syndicat pendant la Grande Dépression.»
«Notre exposition a réédité les éditeurs de l'époque en affichant non seulement les images parues dans le magazine, mais également celles qui n'ont pas été sélectionnées. Les hommes ont choisi de ne pas mettre en valeur les femmes qui ne voulaient pas se marier et qui ne voulaient pas avoir d'enfants, mais plutôt celles qui souhaitaient une carrière et une famille. La série photo de Marie Hansen montrait aux Américains la participation des femmes à l'armée: pendant la guerre, elles furent 150.000 à rejoindre ses rangs. Des milliers d'entre elles ont été déployées.»
«De la même façon, on n'aurait pas demandé à un homme de photographier la division féminine de l'armée américaine (la Women's Army Auxiliary Corps [WAAC]) dans leur centre de formation à Des Moines (Iowa), car une femme photographe (Marie Hansen, en l'occurence), pouvait avoir un meilleur accès aux activités des femmes.»
«Margaret Bourke-White a fait la couverture du premier numéro de Life, le 23 novembre 1936, en photographiant le barrage de Fort Peck, dont est issue cette photo de turbine. C'était une merveille technologique et industrielle pour son époque. Il n'était pas d'usage de confier un tel sujet aux femmes. Margaret Bourke-White a fait des prises de vue du barrage, des hommes au travail (l'administration en a employé plus de 10.000), mais aussi des femmes qui les accompagnaient dans cette ville de l'Ouest “sauvage”, comme on le qualifiait à l'époque. Un homme aurait-il fait ça? Nous ne savons pas.»
«Au plus fort de la guerre froide, en 1956, Life a envoyé Lisa Larsen pour documenter la visite au Kremlin du président de la Yougoslavie, Josip Broz (plus connu sous le nom de Tito). Elle a photographié les foules immenses. On a su que plus tard que ces masses avaient en réalité été forcées à être présentes.»
«Martha Holmes a commencé à travailler pour Life en 1944. L'exposition présente les photographies du chanteur Billy Eckstine datant de 1949. L'une d'elles a saisi Eckstine en train de se faire embrasser par une fan blanche. Les photos inutilisées montraient des foules bigarrées dans la file d'attente pour acheter des billets ou en quête d'un autographe. Les éditeurs ont choisi d'inclure cette photographie dans le reportage publié. Ils étaient tellement inquiets au sujet du potentiel provoquant de cette image, qu'ils ont demandé la permission de Henry Luce, cofondateur de Life qui, avec Holmes, a estimé que le cliché représentait le progrès social. Holmes estimait que cette photo était l'une de ses meilleures, affirmant qu'elle “disait exactement comment le monde devrait être”. Le magazine a cependant reçu de nombreuses lettres malveillantes et cette photo a affecté la carrière de Billy Eckstine.»