Depuis plus d'une décennie, la Mecque est au cœur d'une expansion sans précédent. L'artiste saoudien Ahmed Mater a documenté son évolution pour témoigner de l'ampleur du réaménagement urbain et de ses conséquences sur la ville et les pèlerins. «J’ai vu l’endroit changer sous mes yeux et le passé se perdre sous les décombres de la construction et de la déconstruction», explique-t-il. Son travail, Mecca Journeys, est exposé au Brooklyn Museum de New York jusqu'au 8 avril 2017.
Still from Road to Mecca I, 2017. | Ahmed Mater
«J’ai pris ma première photo en 2008, mais le projet a commencé bien avant cela, quand mon père m’a ramené un stéréoscope de la Mecque. Les multiples perspectives de la ville ont enflammé mon imagination. L’endroit dans lequel je suis retourné n’était plus celui dont je me souvenais dans mon enfance, un endroit construit à partir de mes propres souvenirs, des histoires de ma famille et des vues que je voyais à travers le stéréoscope.»
Public Transit, 2015. | Ahmed Mater
«J’ai commencé mon travail comme une documentation –je voulais enregistrer ce qui était là et qui était en train d’être éradiqué. J’ai vu l’endroit changer sous mes yeux et le passé se perdre sous les décombres de la construction et de la déconstruction. Au fur et à mesure que le projet avançait et s’étendait, j’ai commencé à avoir une idée plus précise des histoires entremêlées de l’endroit, de toutes les vies qui le façonnent et mon projet est devenu plus qu’une documentation.»
Hajj Season, 2015. | Ahmed Mater
«Je crois que les lieux sont formés à la fois par le tissu urbain, mais aussi par les nombreuses histoires et nombreuses vies qui ont été vécues dans ces espaces physiques. J’espère aussi que ce projet est un moyen de préserver le passé pour le futur et que, même si l’infrastructure est altérée et n’est plus reconnaissable, il existe un moyen de transmettre ce que la ville a été et de garder cela vivant pour l’avenir.»
Jibreel (Gabriel), 2012. | Ahmed Mater
«Ici, nous voyons un ouvrier qui s'appelle Jibreel et qui se tient au sommet du plus haut minaret –l'une des six tours utilisées pour appeler les musulmans à venir prier dans la grande mosquée– lors de son extension. Les projets développés à la Mecque sont immenses, signalés par une masse frénétique de grues et de bulldozers. La ville sainte possède de nombreux gratte-ciel et les lumières artificielles encombrent l'horizon. Même la Ka‘aba est empiétée, bousculée entre des bâtiments qui luttent pour l'espace, tandis que la tour de l'horloge royale, avec son croissant de lune colossal, se dresse au-dessus de tout.»
Stand in the Pathway and See, 2012. | Ahmed Mater
«Cette photo est l'une des premières de la collection, c'est l'une des racines de l'histoire narrative des vieux quartiers et installations qui n'existent plus. Elles ont été démolies pour permettre l'expansion de la mosquée et la construction de nouveaux hôtels.»
Foundation for the New Tower, 2015. | Ahmed Mater
«La vieille ville cosmopolite, dont je me souviens de mon enfance et que je reconnais dans les histoires racontées par ma famille, était composée de gens venant de multiples endroits, des siècles de pélerins qui avaient choisi de rester et de se mêler aux habitants pour que cette ville devienne chez eux.»
Metropolis, 2013. | Ahmed Mater
«Je savais que je voulais documenter la ville depuis un hélicoptère et faire le tour de l'aiguille de l'horloge royale. En voyant l'étendue du désert, on a une idée du développement massif de la ville. Sur l'image, on peut voir les sept tours d'Abraj Al-Bait, qui dominent la ville; elles éclipsent tout autour d'elles. La tour de l'horloge fait 601 mètres de haut et est le troisième bâtiment le plus haut du monde. Il contient un centre commercial s'étendant sur vingt étages. À la Mecque, le bruit, la hauteur, la vitesse vous éclipsent.»
Walkway to Mina, 2012. | Ahmed Mater
«Cette photo montre le pont de passage vers Mina, où l'un des rites du pélerinage a lieu: la lapidation de Satan. Cet endroit a été complètement transformé au cours des dernières décennies, notamment avec la construction de ces nouveaux ponts massifs pour supporter le nombre toujours croissant de pèlerins. [...] Leur nombre durant la semaine du pélerinage a grandi de façon exponentielle; il est passé de cent à deux cent mille dans les années 1970 à plus de 3 millions aujourd'hui –et il serait dix fois plus élevé sans les restrictions et les régulations imposées par le gouvernement.»
Room with a View, 2013. | Ahmed Mater
«La construction de logements pour les pèlerins a dominé les transformations des infrastructures de la Mecque. Il y a maintenant plusieurs centaines d'hôtels, dont beaucoup situés juste autour de la Ka‘aba. Ce sont les plus luxueux, leur prix est indexé sur la proximité du lieu. Ils peuvent coûter jusqu'à 3.000$ par nuit.»
Gas Station Leadlight, 2013. | Ahmed Mater
«L'essence est transformée en célébrité dans cette station, qui paraît être une publicité. On peut la voir de très loin, et je m'arrête toujours là pour faire le plein quand je viens et quand je pars de la Mecque.»
Ka‘aba, 2015. | Ahmed Mater
«Les pèlerins prient autour de la Ka‘aba lors d'une des cinq prières de la journée. Voir et entendre ces trois millions d'âmes prier et réciter leurs invocations d'Allah est un rappel écrasant des principes unificateurs du pélerinage. J’espère que mon travail pourra constituer un témoignage important d’une culture en transition, de sorte que dans vingt, trente ou même cent ans, il permette de comprendre comment ces changements se sont produits et leurs effets. Si nous avons ces documents, nous pouvons les utiliser pour enraciner le passé dans le futur, afin de construire des communautés et des cultures avec de solides racines.»
Clock Tower (Mecca Time), 2015. | Ahmed Mater
«Quand j'ai commencé à faire de l'art dans mon pays, il y a une vingtaine d'années, je faisais partie d'une communauté d'artistes du sud de l'Arabie saoudite appelée Al-Meftaha, un village d'art qui était peut-être alors le seul espace vraiment organisé pour vivre et travailler comme artiste en Arabie. Depuis lors, les infrastructures et le soutien se sont étendus à travers le pays, avec des galeries importantes –telles que la galerie Athr à Djeddah, qui a ouvert ses portes en 2009– et des institutions émergentes. Il y a maintenant une jonction entre les créatifs et les institutionnels, et je crois que dans la prochaine décennie, beaucoup de choses extraordinaires peuvent arriver.»