La contestation contre la loi Santé de Marisol Touraine a pris une tournure étrange lundi 19 janvier: en signe de protestation, des internes du CHU de Clermont-Ferrand ont posté la photo d’une fresque obscène de salle de garde représentant, selon certains, une partie fine impliquant Wonder Woman et d'autres super-héros, pour d’autres, un viol collectif de Marisol Touraine.
A la base, une grande peinture moderne réalisée il y a 15 ans, représentant une scène de sexe collectif entre super-héros, à laquelles des bulles de bande-dessinée ont été rajoutées dans le week-end –selon une interne sur Facebook: «Les bulles ajoutées ce week-end [pour faire référence à la loi de santé] sur la fresque évoquaient le fait que NOUS médecins nous faisions baiser par la future loi santé (et pas les médecins baisant Marisol Touraine)». La direction du CHU a depuis repeint le mur en blanc, et décidé d'engager des poursuites disciplinaires contre les auteurs présumés.
Si vous avez été choqué ou surpris de découvrir une peinture pornographique au sein même d’un hôpital, sachez qu'en réalité vous pouvez trouver ce genre de fresques obscènes –sans bulles– partout dans les salles de gardes des hôpitaux de France, même si cette tradition se perpétue bien davantage dans la capitale.
Gilles Tondini, photographe-auteur de l’Image Obscène, a arpenté toutes les salles de garde pour capturer l’esthétique lubrique de ce côté sombre du corps médical. Il nous a raconté qu'«à l’origine, les fresques qui ornaient les salles de garde représentaient de façon très digne les valeurs de la médecine». Au XIXe siècle, c’est Gustave Doré –oui, l’artiste fabuleux qui a réalisé les gravure de l’Enfer de Dante– qui a, le premier, commencé à donner dans la caricature dans le cadre d’une commande exécutée pour l’hôpital de la Charité, au milieu du siècle: «Cette mutation a connu une certaine accélération à la libération sexuelle et s’est amplifié jusqu’à nos jours.» Désormais vous le saurez, dans une salle privée de l’hôpital, il n’y a pas que des murs blancs...
Gilles Tondini nous fait visiter quelques exemples de ces salles de garde, pourtant très secrètes.
Vous pouvez aussi lire un entretien avec le photographe Gilles Tondini sur le site du Tryangle.
Salle de garde de Fernand-Widal | La salle de garde a tout un folklore. Les internes s'y retrouvent pour décompresser. Le grand spécialiste du folklore des salles de garde, Jacques Le Pesteur, explique cette incroyable déluge pornographique qui jure tant avec la proximité de la maladie et de la mort: «Sur les murs, le corps douloureux, sale et asexué laissé sur un lit d’hôpital devient désir, jeunesse et vigueur à travers les traits de personnages grotesques se livrant à toutes les audaces.»
Face à un quotidien très difficile, les internes, garçons ou filles, auraient donc trouvé cette parade symbolique et carnavalesque, pieds de nez que Gilles Tondini résume ainsi: «La vitalité des internes s’impose toujours et partout avec autant de force et de vigueur qu’on la voudrait moribonde.»
Salle de garde de Bichat Claude-Bernard | Parodie du sacre de Napoléon avec une Joséphine dans une pose différente. Notez les lunettes de Napoléon: il s’agit très probablement d’une caricature d’un des chefs de service, ici gentiment moqué comme il est de coutume dans ces fresques qui représentent souvent les membres de l’équipe économale (qui s’occupe des différents aspect de la vie dans la salle de garde) et du service de l’hôpital dans des poses obscènes.
Salle de garde de Mignot | La salle de garde de Mignot à Versailles est le poste avancé des salles de garde de la région parisienne. Des corps d’hommes et de femmes y sont mélangés aux prises murales dans un enchevêtrement qui rappelle La Création d’Adam de Michel Ange.
Salle de garde Fernand-Widal | La salle a fermé ses portes, se désole Gilles Tondini: «C’était pourtant ma préférée.» Aujourd’hui, cette salle a été reconvertie en bureau et les murs y sont probablement aussi blancs que ceux de Clermont-Ferrand. Selon l'Association pour la préservation du patrimoine de l'internat (APPI), citée par Le Monde, les 37 hôpitaux publics de la région parisienne ne comptent plus que 13 salles de garde actives, contre 29 en 2000.
Salle de garde de Bichat Claude-Bernard | Les salles ferment principalement pour des raisons économiques, les salles de réfectoire –et leur cuisine– cédant par exemple la place aux plateaux-repas.
Salle de garde d'Antoine-Béclère | Dans cet hôpital, rapporte Le Monde, la salle de garde va devoir déménager vers l'ancienne salle de culte –et des salles de cultes la remplaceront.
Salle de garde d'Antoine-Béclère | Parmi les traditions carabines, une roue permet, si une des règles de la salle de garde est enfreinte, de donner un gage.
Salle de garde d'Antoine-Béclère | Un message à l'entrée de la salle de garde.
Salle de garde d'un hôpital parisien | Voici un exemple de fresque fort récente dans un hôpital parisien de renom. Le chaudron apparaît comme une métaphore tout à fait claire («passer à la casserole»), et typique, de l’humour carabin.