«Quand j'ai commencé mon projet, il y avait environ 100 personnes en cryosuspension, explique Murray Ballard. Ce chiffre a triplé au cours des dix années où j'ai mené mon travail.» Pendant une décennie, ce photographe britannique a réalisé le portrait de ces personnes et suivi les différentes étapes techniques de la cryogénisation: un processus de congélation du corps humain, réalisé dans l'espoir que le progrès scientifique permette un jour de redonner vie au corps. Son travail a fait l'objet d'un livre –The prospect of Immortality– et sera exposé lors du festival Circulation(s), à Paris, du 17 mars au 6 mai 2018.
«J'ai commencé ce projet en 2006 quand j'étudiais la photographie à l'université de Brighton. Je travaillais sur un autre projet autour du thème de la “conservation”. Je photographiais toutes sortes de choses, des taxidermistes aux banques de semences. Un jour, le vendredi 17 mars de la même année pour être précis, je feuilletais le journal The Guardian et je suis tombé sur un article intitulé Freezer failure ends couples hopes of life after death. Il racontait l'histoire d'un Français, Raymond Martinot, qui avait tenté sa propre expérience de cryogénisation dans la crypte de son château (cette histoire est devenue le premier chapitre de mon livre et sera exposée pour la première fois ce mois-ci dans le cadre du Festival Circulation(s)). Avant de lire cet article, je pensais que la cryonie n'existait que dans la science-fiction. J'ai commencé à approfondir mes recherches et j'ai finalement trouvé un groupe d'adeptes au Royaume-Uni.»
«J’ai toujours été intéressé par la science-fiction. Quand j'étais un adolescent, le frère aîné d’un de mes amis m'a montré des films comme 2001, l'Odyssée de l’espace et Alien, qui traite des cryonics. Je ne savais pas que les gens faisaient ça en vrai. Quand j'en ai entendu parlé, je suis simplement devenu fasciné. En 2006, quand j'ai commencé le projet, internet était très différent –lorsque vous googliez quelque chose, il n'y avait pas autant d'informations que maintenant. La cryonie était mystérieuse pour moi et j'étais impatient de voir à quoi cela ressemblait en vrai.»
«L'article du Guardian mentionnait un des laboratoires en Amérique, mais j'étais étudiant à l'époque, donc je ne pouvais pas me permettre de sauter dans un avion et même si j'avais pu, je n'avais aucune raison d'avoir accès aux laboratoires. J'ai commencé le projet en photographiant des gens au Royaume-Uni qui s'étaient inscrits pour une cryogénisation. Un petit groupe se réunissait quelques fois par an pour discuter des problèmes liés à la cryonie et des premières étapes de la cryogénisation.»
«Comme il n'y a pas de laboratoires de cryogénisation au Royaume-Uni ou en Europe, les patients devaient être transportés par avion en Amérique dans un conteneur de glace et il était donc nécessaire que les premières étapes soient effectuées avant le transport. Il existe maintenant un laboratoire de cryogénisation en Russie, mais quand j'ai commencé le projet, il n'existait pas, donc les patients n’avaient pas d’autres options que l’Amérique.»
«En situation idéale, la cryogénisation se passe comme suit. Une équipe de volontaires formés ou une équipe d'intervention d’un laboratoire spécialisé est au chevet du patient pendant les dernières heures de sa vie. Une fois la personne déclarée légalement morte, le processus commence immédiatement. On place le patient dans un bain de glace pour faire refroidir le corps. Une machine cardio-pulmonaire automatisée est utilisée pour maintenir en vie les cellules des organes et des tissus du patient et restaurer le flux sanguin nécessaire pour administrer des anticoagulants et des médicaments.»
«Ensuite, le sang du patient est lavé et remplacé par des cryoprotecteurs, presque comme de l'antigel humain, pour empêcher la destruction des cellules du patient pendant le refroidissement. Le patient est ensuite emballé dans un conteneur d'expédition avec de la glace et envoyé par fret aérien dans l'un des laboratoires américains. Au laboratoire, le patient est ensuite transféré dans un cryostat (un récipient qui a la forme d’un grand thermos) et son corps est lentement refroidi à -196 degrés Celsius avec de l'azote liquide pour le stockage à long terme.»
«Il existe une sorte de communauté et de nombreuses personnes se sont fait des amis grâce à cet intérêt commun. Des réunions mensuelles et des conventions annuelles sont organisées. Il est difficile de savoir exactement combien de personnes sont impliquées. Souvent, les gens s'y intéressent et assistent à une conférence ou à une réunion, mais ne s'y inscrivent jamais. J'ai probablement rencontré plus d'une centaine de cryonicistes mais j'estime qu'il y a des milliers de personnes qui s'y intéressent.»
«Dans les différents laboratoires et organisations, je crois qu'il y a actuellement environ 300 personnes en cryosuspension dans le monde et environ 3.000 personnes se sont inscrites à la cryonie en prévision de leur mort, mais il m'est difficile d'être précis à ce sujet. Bien sûr, le nombre croît tout le temps. Quand j'ai commencé mon projet, il y avait environ 100 personnes en cryosuspension. Ce chiffre a triplé au cours des dix années où j'ai mené mon travail.»
«La plus grande communauté se trouve en Amérique, probablement suivie par la Russie, puis par le Royaume-Uni et l'Allemagne, mais il y a des gens qui se sont inscrits partout en Europe et dans le monde. J’ai rencontré pas mal de Français. Cette pratique est bien sûr encadrée par des lois. Je pense d’ailleurs qu’elle est illégale en France parce que Raymond Martinot et son fils Rémy avaient constamment des difficultés avec les autorités. Ils les ont poursuivies en justice pour avoir le droit de disposer de leurs corps. Autant que je sache, la loi n'a pas changé ces dernières années.»
«Le plus difficile a été de gagner la confiance des gens. Dans le passé, les adeptes de ce phénomène ont été beaucoup ridiculisés dans les médias et certaines personnes étaient préoccupées par la façon avec laquelle j’allais les représenter. Il m’a fallu du temps pour gagner leur confiance, mais cela a été de plus en plus facile au fur et à mesure que le projet progressait car j’ai essayé dès le début d'adopter un point de vue objectif.»