«Comment le communisme a-t-il pu disparaître si rapidement?», s'est demandé Jan Banning. Pendant cinq ans, ce photographe s'est lancé dans un projet pour documenter ce qu'il reste du communisme aujourd'hui dans une sélection de pays comme l'Italie, la Russie ou encore le Népal. Il en a fait un livre, Red Utopia, co-publié par Ipso Facto (Pays-Bas) et Nazraeli (États-Unis). Son travail est également exposé dans le cadre d'une rétrospective au Musée de la photographie de La Haye, jusqu'au 2 septembre 2018.
«J’ai commencé ce projet en 2013, et j’ai pris la dernière image l’année dernière en Russie. J’ai décidé de me lancer dans ce travail pour au moins deux raisons. La première est que j’ai fait des études d’histoire, qu’elle m’a toujours intéressé et que j’aime observer le monde avec l’Histoire en tête. La seconde est que ce mouvement qui grandit depuis le XIXe siècle jusqu’à la fin du XXe semble s’être évaporé après la chute du Mur de Berlin.»
«Or, en théorie, il existe toujours des pays communistes, même si la Chine ou le Vietnam par exemple ont peu à voir avec l'idéologie de Marx ou Engels. Je me suis alors demandé: comment cela a-t-il pu disparaître si rapidement?»
«Je n’ai pas voulu concentrer mon travail sur les cinq pays officiellement communistes car je pense que le communisme y a peu à voir. Il s’agit en fait de sortes de dictatures qui n’ont rien d'un système d’aspiration égalitaire ou de collectivisation des moyens de production.»
«J’ai donc fait des recherches sur les pays dans lesquels le parti communiste a toujours une place aujourd’hui. L'État du Kerala, en Inde, est gouverné par une coalition communiste depuis le milieu des années 1950. Au Portugal, le communisme est toujours fort, même s'il l’est moins qu’au Népal par exemple. Mais au fil des mois, mon travail au Portugal est devenu de plus en plus compliqué car le parti communiste portugais n’aimait pas ce que je faisais, je me suis donc concentré plutôt sur l’Italie. En Italie, le communisme n’est plus très présent même si, dans les années 1970, il était le parti le plus fort du monde occidental.»
«Au cours de ce travail, j’ai appris qu’en Russie ou au Portugal les communistes forment un mouvement de personnes âgées frustrées par le développement néolibéral et qui se sentent laissées pour compte. En Italie, il s’agit plutôt d'un mélange de vieux et de jeunes activistes. Si le parti est plus faible en Italie qu’au Portugal ou en Russie, je pense qu’il y a pourtant un futur plus probable du fait de la présence de jeunes.»
«Certaines particularités visuelles m’ont frappé. En Russie, le parti communiste dirigeait le pays jusqu’en 1990. Ce qui est drôle c’est qu’aujourd’hui, les grands posters, les énormes photos qui étaient destinées à de grands bureaux se trouvent désormais dans de minuscules salles des petites villes. Je trouve que cela souligne d’autant plus la décomposition de ce parti.»
«Une autre chose qui m’a questionné est la nature des images dans les bureaux. Au Népal, en Inde ou en Italie, on voit souvent des portraits de Che Guevara, mais pas en Russie, je n’en ai même jamais vu aucun. Or, pour attirer les jeunes, le choix de Che Guevara serait logique étant donné qu'il est devenu une pop-star communiste même si beaucoup ne savent pas qui il était vraiment.»
«J’ai voulu travailler en Afrique du Sud mais les militants exigeaient d’être photographiés dans des conditions strictes et sans intimité. Cela ne m’intéressait pas d’être un outil de propagande, ce n’était pas le but de mon travail alors j’ai refusé d'y travailler.»
«Les réactions ont été globalement positives. Les militants étaient fiers et agréablement surpris qu’un étranger s’intéresse à eux, surtout en Italie. Je me dis que l’intérêt si positif des Italiens a à voir avec les caractéristiques de leur idéologie.»
«La source d’inspiration principale des Italiens est Gramsci, qui insistait sur le rôle de la culture. Je pense que cette idéologie a survécu et permet de mieux comprendre d’autres artistes ou formes d’art et leur relation à la notion de liberté.»