Dans la campagne reculée du Centre Bretagne, au bout d'une route que le GPS peine à indiquer, on finit par atteindre le lieu-dit Kerlanic, appelé par ses résident·es «Oasis Kerlanic». Il a été surnommé comme cela car, pour une personne qui cherche à fuir la frénésie de notre société, c'est comme si elle était dans le désert et qu'elle trouvait, au milieu de nulle part, une oasis.
Il s'agit d'un lieu où l'on vit en autonomie et en adéquation avec la nature, un lieu où chacun·e est la ou le bienvenu·e et qui prône un mode de vie alternatif.
«Mama Terra», c'est ainsi qu'on surnomme Audrey pour sa bienveillance permanente envers la nature et ses semblables; c'est elle qui est à l'origine de cette initiative. Mère de deux enfants, elle a habité pendant douze ans en région parisienne où elle pratiquait deux métiers à la fois: celui d'écrivaine publique et celui de styliste grande taille.
C'est lorsqu'elle est enceinte de son premier enfant qu'elle commence à remettre en question sa vie: «Je ne voulais pas lui offrir le monde tel que je le percevais, qu'il subisse cette frénésie quotidienne. Il fallait aller toujours plus vite et je n'imaginais pas le voir uniquement le soir pour lui raconter une histoire.»
C'est un burn-out qui l'a poussé à dire «STOP». En l'espace de deux mois, elle a quitté ses différents jobs et son appartement afin d'acheter une maison en Touraine. «Ce n'était pas une fuite mais un grand bon en avant.» Ce passage en province a apporté son lot de prises de conscience au travers de rencontres avec des familles ayant déjà fait le choix d'un mode de vie alternatif. «Comme disait Paulo Coelho, tout l'univers conspirait comme si j'étais sur le bon chemin.» Elle avait changé, elle voulait plus d'autonomie, d'espace et de liberté. Avec ses enfants, ils aimaient partir respirer en Bretagne, ils ont donc décidé d'arrêter de faire des allers-retours. Ils ont acheté Kerlanic qui était à l'époque une ferme abandonnée datant du XVIIe siècle dans un terrain de deux hectares.
«Dès le départ, j'ai voulu que ce soit un lieu d'accueil afin de créer une grande atmosphère familiale.» Ce grand terrain à moitié occupé par une forêt est donc devenu un lieu public car, selon Audrey, «la Terre n'appartient à personne». En effet, qui veut découvrir le site, y planter sa tente, peut séjourner à la seule condition de respecter une charte, qui se contente d'énumérer des règles de bon sens. «Au début, c'était des gens de passage et puis, petit à petit, les gens ne savaient jamais vraiment quand ils repartiraient.»
La seconde chose que Audrey a tenu à mettre en place est l'autonomie énergétique, pas question pour elle d'être tributaire des divers réseaux. Elle raconte encore: «Au début, en plein mois de février, je dormais dans mon camion et je faisais un feu pour me faire à manger.» Désormais, une dizaine de panneaux photovoltaïques couvrent les besoins en électricité. L'hiver, on se chauffe grâce au poêle à bois, bien sûr sans couper les arbres: «On ne prend que ce que la forêt nous offre.»
Un système de récupération d'eau de pluie permet d'avoir suffisamment d'eau pour le ménage, la vaisselle et la toilette. Enfin pour l'eau potable, la communauté va capter l'eau directement à une source proche. «À chaque fois que je vais à la source, j'ai l'image de cette femme africaine qui raporte des jarres d'eau pour sa tribu.»
Pas question d'utiliser de l'eau pour faire ses besoins. Des toilettes sèches ont été installées à différents endroits du terrain.
Les animaux sont très présents. On en compte plus d'une soixantaine. Chèvres, boucs, poules, chiens, chats et un jars vivent tous en liberté. Les poules pondent quand elles le souhaitent et seuls les œufs qu'elles abandonnent sont consommés.
De même pour les chèvres qui sont traites au gré de leur bonne volonté, afin d'offrir du lait et du fromage.
Un grand potager a également été mis en place. On y pratique la permaculture ainsi que d'autres nouvelles formes d'agricultures soucieuses de l'environnement. Pour le reste des besoins alimentaires, tous les mardis matin, il y a le marché de Rostrenen, la commune la plus proche, où sont regroupés des producteurs et productrices du coin.
Cet endroit est également un paradis pour les enfants. Ils ont de l'espace pour s'amuser, dépenser leur énergie et laisser libre cours à leur imagination. Âgé de 11 ans Noa, le fils d'Audrey, vit ici. Il ne va plus à l'école et c'est son choix. «On me demande de dessiner quand j'ai envie d'écrire et on me demande d'écrire quand j'ai envie de dessiner. C'est pas la liberté ça!» Il a donc fait un pacte avec sa mère dans lequel il s'engage à rester curieux et à continuer à s'intéresser au monde qui l'entoure. Pour ce qui est des fondamentaux de la langue et du calcul, l'enseignement lui est dispensé par sa mère ou via un groupement de parents dont les enfants sont dans la même situation. Souvent Noa se penche de lui-même sur des sujets qui l'interpellent. En ce moment il s'agit de la Seconde Guerre mondiale. Il s'instruit également grâce aux nombreuses personnes de passage où quand il part en voyage avec sa mère. Noa se sent à sa place en ce lieu, il aime la nature et les animaux. Il connaît la traite des chèvres sur le bout des doigts et maîtrise l'art du potager comme peu d'enfants de son âge.
Beaucoup d'habitant·es des alentours ont également éprouvé de l'affection pour le lieu. Tou·tes ensemble, elles et ils ont rénové le plus grand des bâtiments qui tombait en ruine. On y trouve désormais une cuisine, une salle commune ainsi que deux grandes chambres. Aujourd'hui encore, ces gens viennent apporter leur aide pour des chantiers participatifs comme la construction d'une paillourte, petit habitat composé d'un mélange de terre et de paille.
L'hiver, le froid et l'humidité de ce mois de janvier impose une vie rude. Les bâtiments sont peu isolés. Le poêle à bois du salon devient ainsi le point de rendez-vous pour les âmes en quête de chaleur. Il est nécessaire d'aller souvent couper du bois dans la forêt mais, comme le répète Audrey, «pas question de prendre plus que ce que la forêt nous offre». Seul le bois des arbres tombés est récolté. À la nuit tombée, les bouilloires ne cessent de siffler afin que chacun remplisse sa bouillotte d'eau chaude. Tandis que, au petit matin, il est très difficile de sortir des couvertures tellement l'air est glaçant. On se rassure en se disant que nos aïeux vivaient ainsi.
À Kerlanic, en hiver, le feu est un grand allié.
