Espace vital – Femmes photographes iraniennes invite à regarder l'Iran à travers l'objectif des femmes, dans un contexte historique où les Iraniennes revendiquent leurs droits avec détermination et courage.
Trois générations de photographes cohabitent ici. Si chacune d'elles aborde l'un des nombreux questionnements et bouleversements que traverse la société iranienne, le féminisme transcende leurs œuvres.
Engagement et poésie sont les maîtres mots des travaux réunis. Qu'ils soient documentaires ou conceptuels, tous évoquent la société iranienne et contiennent une charge politique qui, si elle est rarement exprimée frontalement, est souvent métaphorique.
Les œuvres de ces vingt-trois femmes photographes témoignent d'une incontestable maturité et d'une exceptionnelle vitalité.
Nous publions ici quelques-unes des photographies réunies dans ce livre dirigé par Anahita Ghabaian Etehadieh, qui paraît le 12 avril aux éditions Textuel.
Shadi Ghadirian est l'une des précurseurs de la photographie mise en scène en Iran. Sa série Qajar –du nom de la dynastie qui a régné sur l'Iran de la fin du XVIIIe au début du XXe siècle– montre des femmes partagées entre modernité et tradition. L'anachronisme des objets d'aujourd'hui en regard des tenues traditionnelles fait ressortir les tiraillements propres à la société iranienne. Avec son projet Comme tous les jours, qui met en scène des femmes portant un tchador dont le visage est masqué par des ustensiles ménagers, l'artiste dénonce l'assignation des femmes à la sphère domestique.
La série Nil, Nil offre un point de vue féminin sur un sujet le plus souvent photographié par des hommes: la guerre. Bien que certaines de ces œuvres aient été créées il y a plus de vingt ans, elles n'ont rien perdu de leur pertinence et de leur acuité.
Alors même que le conflit entre Iran et Irak est vieux de plusieurs décennies, la guerre et ses conséquences continuent à hanter les Iraniens. C'est le cas de Gohar Dashti, dont la série La Vie moderne et la guerre représente cette obsession en montrant un couple menant ses activités quotidiennes au milieu d'un champ de bataille fictif.
Dans Iran, sans titre, la photographe instaure une narration régie par une unité de lieu: le désert, que des groupes de gens investissent comme un plateau de théâtre.
Yalda Moaiery est une jeune photojournaliste lorsqu'elle obtient, en 2006, l'autorisation de suivre des opérations de police visant les femmes qui n'obéissent pas à la loi sur le port obligatoire du hijab. Les femmes sont arrêtées pour différentes raisons: un voile jugé mal placé, un maquillage trop voyant ou des vêtements trop près du corps.
«Le hijab était un symbole: au fond, le gouvernement n'a pas censuré seulement nos cheveux, mais l'amour et la liberté qui animent notre génération», dit-elle à propos de ces images.
Dans la série Lire pour les rues de Téhéran, Maryam Firuzi, qui se revendique féministe, se met en scène lisant en pleine rue. Elle crée ainsi un paysage urbain fantasmé, invitant chacun à s'arrêter et réfléchir. Pour la série Les Souvenirs épars d'un avenir déformé, elle invite des femmes peintres à créer des œuvres dans des lieux abandonnés, faisant des ruines la métaphore de la souffrance endurée par les Iraniens. La photographe interroge la fonction de l'art: un remède palliatif aux soubresauts du quotidien, dans un Iran en proie aux bouleversements? Enfin l'artiste raconte, à travers la série Dans l'ombre des femmes silencieuses réalisée dans différentes régions rurales d'Iran, le quotidien des femmes et la richesse du patrimoine culturel des ethnies qui composent le pays.
Newsha Tavakolian est membre de l'agence Magnum depuis 2019. Elle commence à travailler pour la presse iranienne à l'âge de 16 ans, couvrant guerres et questions sociales. Au fil du temps, sa pratique devient plus artistique et conceptuelle. Elle ne cherche jamais à communiquer un message de façon frontale, préférant un langage métaphorique. La série Écoutez met ainsi en scène des chanteuses iraniennes qui, selon les lois en vigueur depuis la révolution de 1979, ne peuvent plus se produire en solo ni enregistrer un disque en leur nom, contrairement à leurs homologues masculins. «Pour moi, la voix d'une femme représente un pouvoir. Si vous la faites taire, cela déséquilibre la société et déforme tout. Cette série fait écho aux voix de ces femmes réduites au silence. J'ai invité des chanteuses iraniennes à se produire devant mon objectif, alors que le monde ne les a jamais entendues», explique la photographe. Dans toute son œuvre, dont la série Pages vierges d'un album photo iranien, elle s'applique à rendre compte de la coexistence, dans la société contemporaine iranienne, de deux forces antagonistes: l'une s'efforce de faire avancer les choses, l'autre met tout en œuvre pour empêcher le progrès.
