Le Bauhaus, un siècle d'avant-gardisme
Culture

Le Bauhaus, un siècle d'avant-gardisme

Certains de ses préceptes sont toujours d'actualité. Arts de la table, luminaires ou mobilier dessinés au Bauhaus sont encore édités. À la suite du festival d'ouverture du centenaire du Bauhaus qui a eu lieu du 16 au 24 janvier 2019 à l'Académie des arts de Berlin, tout au long de 2019 des expositions dans le monde entier ont célébré l'anniversaire de cette école et du mouvement qui ont marqué l'histoire de l'architecture, du design et des arts décoratifs. Née dans le tumulte, entre deux guerres, l'école a disparu sous la pression des nazis. Comment, en n'ayant vécu que quatorze années (1919-1933), successivement installée dans trois villes différentes, est-elle parvenue à marquer son époque et assurer sa postérité?

Le cliché est célèbre: une femme masquée, à la posture assurée, jambes croisées dans une jupe courte, crânement installée dans un fauteuil tubulaire fait d'acier et de tissu. Anonyme, muette et emblématique. Probablement prise en 1926, l'année qui a suivi l'invention par Marcel Breueur du fauteuil dit «Wassily», la photo pourrait à elle seule résumer la philosophie du Bauhaus. L'école l'utilisa justement pour faire sa promotion dans un magazine. Erich Consemüller, qui fut élève puis professeur au Bauhaus, en est l'auteur.

 

Un tout jeune Marcel Breuer avait eu, en 1925, l'idée de cette assise inspiré par la structure de son vélo et par les théories constructivistes du mouvement néerlandais De Stijl. Il était persuadé qu'un jour les chaises disparaitraient, remplacées par des colonnes d'air qui suffiraient à nous soutenir. Ce fauteuil club audacieusement réduit à son plus élémentaire vocabulaire allait changer l'histoire du design; toujours édité, il est plus que jamais apprécié. Breuer deviendra un architecte incontournable du XXe siècle, père du Metropolitan Museum Breuer et du Whitney Museum à New York et cosignataire de la Maison de l'Unesco à Paris.

 
Femme portant un masque d’Oskar Schlemmer dans un fauteuil tubulaire de Marcel Breuer, vers 1926. | Erich Consemüller / Bauhaus Archive Berlin

Le cliché est célèbre: une femme masquée, à la posture assurée, jambes croisées dans une jupe courte, crânement installée dans un fauteuil tubulaire fait d'acier et de tissu. Anonyme, muette et emblématique. Probablement prise en 1926, l'année qui a suivi l'invention par Marcel Breueur du fauteuil dit «Wassily», la photo pourrait à elle seule résumer la philosophie du Bauhaus. L'école l'utilisa justement pour faire sa promotion dans un magazine. Erich Consemüller, qui fut élève puis professeur au Bauhaus, en est l'auteur.

 

Un tout jeune Marcel Breuer avait eu, en 1925, l'idée de cette assise inspiré par la structure de son vélo et par les théories constructivistes du mouvement néerlandais De Stijl. Il était persuadé qu'un jour les chaises disparaitraient, remplacées par des colonnes d'air qui suffiraient à nous soutenir. Ce fauteuil club audacieusement réduit à son plus élémentaire vocabulaire allait changer l'histoire du design; toujours édité, il est plus que jamais apprécié. Breuer deviendra un architecte incontournable du XXe siècle, père du Metropolitan Museum Breuer et du Whitney Museum à New York et cosignataire de la Maison de l'Unesco à Paris.

 

Dans la République de Weimar récemment proclamée, l'architecte et urbaniste Walter Gropius impose en 1919 sa vision de l'école d'art idéale, «susceptible de fournir une orientation artistique à l'industrie, au commerce et à l'artisanat». La vocation de la Staatliches Bauhaus («maison du bâtir» ou «maison de la construction») est définie par son nouveau directeur dans un manifeste: «Le but final de toute activité plastique est la construction! […] Architectes, sculpteurs, peintres, nous devons tous revenir au travail artisanal, parce qu'il n'y a pas d'art professionnel. Il n'existe aucune différence essentielle entre l'artiste et l'artisan.»

 

Dans le prolongement des théories du mouvement Arts & Crafts porté par William Morris et John Ruskin un demi-siècle auparavant, Gropius encourage les élèves à revisiter les pratiques ancestrales en utilisant des matériaux modernes et des techniques innovantes, en tenant compte dès la conception des contraintes de production de masse dans un contexte d'industrialisation en plein essor.

 

 
Portrait de Walter Gropius en 1919, année de la fondation du Bauhaus. | Wikimedia Commons

Dans la République de Weimar récemment proclamée, l'architecte et urbaniste Walter Gropius impose en 1919 sa vision de l'école d'art idéale, «susceptible de fournir une orientation artistique à l'industrie, au commerce et à l'artisanat». La vocation de la Staatliches Bauhaus («maison du bâtir» ou «maison de la construction») est définie par son nouveau directeur dans un manifeste: «Le but final de toute activité plastique est la construction! […] Architectes, sculpteurs, peintres, nous devons tous revenir au travail artisanal, parce qu'il n'y a pas d'art professionnel. Il n'existe aucune différence essentielle entre l'artiste et l'artisan.»

 

Dans le prolongement des théories du mouvement Arts & Crafts porté par William Morris et John Ruskin un demi-siècle auparavant, Gropius encourage les élèves à revisiter les pratiques ancestrales en utilisant des matériaux modernes et des techniques innovantes, en tenant compte dès la conception des contraintes de production de masse dans un contexte d'industrialisation en plein essor.

 

 

La réputation de l'établissement dépassa rapidement les frontières allemandes: dans cette école d'art d'un genre nouveau, chaque élève devait se former à toutes les disciplines, dans le but ultime d'unifier les arts, l'artisanat et la technologie.

 

Pour Jolanthe Kugler, commissaire d'exposition au Vitra Design Museum, il n'y a jamais eu «un seul Bauhaus, mais de nombreux Bauhaus, agents de transformation sociale». Élèves et professeur·es étaient invité·es à créer une communauté aux rangs serrés, mue par le désir de «redessiner chaque partie de la vie quotidienne dans le but de créer une société nouvelle». Une idée forcément séduisante et pertinente, juge Kugler, en «cette période de grands changements sociétaux».

 

 
École du Bauhaus à Weimar, dessinée par Walter Gropius. | Bauhaus Archives

La réputation de l'établissement dépassa rapidement les frontières allemandes: dans cette école d'art d'un genre nouveau, chaque élève devait se former à toutes les disciplines, dans le but ultime d'unifier les arts, l'artisanat et la technologie.

 

Pour Jolanthe Kugler, commissaire d'exposition au Vitra Design Museum, il n'y a jamais eu «un seul Bauhaus, mais de nombreux Bauhaus, agents de transformation sociale». Élèves et professeur·es étaient invité·es à créer une communauté aux rangs serrés, mue par le désir de «redessiner chaque partie de la vie quotidienne dans le but de créer une société nouvelle». Une idée forcément séduisante et pertinente, juge Kugler, en «cette période de grands changements sociétaux».

 

 

À l'occasion du centenaire du mouvement, les réseaux sociaux sont inondés d'hommages graphiques spontanés: et si les logos de Netflix, de Google, de Nike ou de Mac Donald's étaient redessinés selon les préceptes du Bauhaus, en ayant recours aux couleurs primaires, à des formes géométriques, des polices sans empattement? Herbert Bayer, élève puis enseignant chargé de concevoir l'identité graphique du Bauhaus, imagina en 1925 la police de caractère Universal. Futur classique, l'alphabet aux lettres arrondies, solides, sans serif, ne comprenait aucune majuscule à l'exception du G et du K, les autres ayant été jugées «inutiles» par son créateur.
Herbert Bayer inventa le design graphique moderne en même temps que l’identité visuelle du Bauhaus. | Bauhaus Archive

À l'occasion du centenaire du mouvement, les réseaux sociaux sont inondés d'hommages graphiques spontanés: et si les logos de Netflix, de Google, de Nike ou de Mac Donald's étaient redessinés selon les préceptes du Bauhaus, en ayant recours aux couleurs primaires, à des formes géométriques, des polices sans empattement? Herbert Bayer, élève puis enseignant chargé de concevoir l'identité graphique du Bauhaus, imagina en 1925 la police de caractère Universal. Futur classique, l'alphabet aux lettres arrondies, solides, sans serif, ne comprenait aucune majuscule à l'exception du G et du K, les autres ayant été jugées «inutiles» par son créateur.

Mythiques, les bals costumés du Bauhaus étaient une façon pour Gropius de renforcer sa vision à travers une exhortation à l'expérimentation; les costumes et masques les plus extravagants étaient réalisés par les élèves au cours de l'atelier Théâtre (dirigé par Oskar Schlemmer). Mais toutes les expériences n'étaient pas aussi jubilatoires: les ateliers du Bauhaus avaient été conçus comme des laboratoires destinés à alimenter la production industrielle –seul moyen pour l'école d'assurer sa viabilité économique. Les objets qui y étaient manufacturés restaient coûteux, exclusifs, réservés à une élite. Bruno Taut et Gropius voulaient construire, à l'issue de la guerre, des habitations «saines et joyeuses» pour tout le monde, sous le signe de «la lumière et l'air, la dignité et l'ordre». Le nazisme mit fin à leur rêve mais on peut encore visiter à Berlin leurs appartements du Hufeisensiedlung («Horseshoe Estate»), classé au patrimoine de l'Unesco.
Costumes réalisés par l’atelier Théâtre du Bauhaus (années 1920), sous la direction d’Oskar Schlemmer. | Bauhaus Archive.

Mythiques, les bals costumés du Bauhaus étaient une façon pour Gropius de renforcer sa vision à travers une exhortation à l'expérimentation; les costumes et masques les plus extravagants étaient réalisés par les élèves au cours de l'atelier Théâtre (dirigé par Oskar Schlemmer). Mais toutes les expériences n'étaient pas aussi jubilatoires: les ateliers du Bauhaus avaient été conçus comme des laboratoires destinés à alimenter la production industrielle –seul moyen pour l'école d'assurer sa viabilité économique. Les objets qui y étaient manufacturés restaient coûteux, exclusifs, réservés à une élite. Bruno Taut et Gropius voulaient construire, à l'issue de la guerre, des habitations «saines et joyeuses» pour tout le monde, sous le signe de «la lumière et l'air, la dignité et l'ordre». Le nazisme mit fin à leur rêve mais on peut encore visiter à Berlin leurs appartements du Hufeisensiedlung («Horseshoe Estate»), classé au patrimoine de l'Unesco.

En théorie, Walter Gropius (un temps marié à la volcanique Alma Malher) tenait à promouvoir l'égalité des sexes. Dans la réalité, les élèves appartenant au «sexe faible» se voyaient souvent cantonnées au cours de tissage. Certaines ont su sortir du lot, comme Gunta Stölzl, première femme à diriger un département après y avoir étudié, et dont les créations (comme celle de sa comparse Anni Albers) furent commercialisées à une échelle industrielle –et font encore aujourd'hui l'objet de rééditions.

 

Marianne Brandt, qui étudiait initialement la peinture, bifurqua vers le design de produit, dessinant un service à thé ou des lampes désormais considérées comme des classiques du Bauhaus. Elle se vit plus tard confier la direction de l'atelier métal (première femme à se voir gratifier du titre de «maître»), prenant la suite du célèbre artiste Lázló Moholy-Nagy.

 
Théière de Marianne Brandt. | Bauhaus Archive

En théorie, Walter Gropius (un temps marié à la volcanique Alma Malher) tenait à promouvoir l'égalité des sexes. Dans la réalité, les élèves appartenant au «sexe faible» se voyaient souvent cantonnées au cours de tissage. Certaines ont su sortir du lot, comme Gunta Stölzl, première femme à diriger un département après y avoir étudié, et dont les créations (comme celle de sa comparse Anni Albers) furent commercialisées à une échelle industrielle –et font encore aujourd'hui l'objet de rééditions.

 

Marianne Brandt, qui étudiait initialement la peinture, bifurqua vers le design de produit, dessinant un service à thé ou des lampes désormais considérées comme des classiques du Bauhaus. Elle se vit plus tard confier la direction de l'atelier métal (première femme à se voir gratifier du titre de «maître»), prenant la suite du célèbre artiste Lázló Moholy-Nagy.

 

Désigné par les nazis «refuge évident de la conception judéo-marxiste de l'art», le Bauhaus ferma ses portes définitivement en 1933. Gropius avait dû démissionner en 1928 (et l'école quitter Weimar pour Dessau puis Berlin), remplacé par Itten puis Ludwig Mies van der Rohe. Ce dernier suivit en 1938 Lázló Moholy-Nagy à Chicago, qui y avait ouvert l'année précédente les portes du New Bauhaus. Mies van der Rohe (chantre du Less is more) deviendra le directeur de l'Illinois Institute of Technology, concevant des projets iconiques comme la Farnsworth House ou le Seagram Building.

 

Walter Gropius, exilé en Grande-Bretagne, rejoindra lui aussi les États-Unis, et prendra rapidement la tête de la Graduate School of Design de Harvard. Il s'associera à son ancien élève, Marcel Breuer. Le style des maîtres du Bauhaus se propagea grâce à leurs nombreux disciples; Tel Aviv ne compte pas moins de 4.000 bâtiments de style Bauhaus. En parallèle de ses architectes et designers, l'esprit du mouvement fut aussi perpétué par ses artistes, tels Josef Albers, Wassily Kandinsky ou Paul Klee.

 
L'artiste László Moholy-Nagy, maître du Bauhaus, dut fuir l’Allemagne en 1933 pour la Grande-Bretagne, avant d’ouvrir le New Bauhaus à Chicago (Z VII, 1926). | Wikimedia

Désigné par les nazis «refuge évident de la conception judéo-marxiste de l'art», le Bauhaus ferma ses portes définitivement en 1933. Gropius avait dû démissionner en 1928 (et l'école quitter Weimar pour Dessau puis Berlin), remplacé par Itten puis Ludwig Mies van der Rohe. Ce dernier suivit en 1938 Lázló Moholy-Nagy à Chicago, qui y avait ouvert l'année précédente les portes du New Bauhaus. Mies van der Rohe (chantre du Less is more) deviendra le directeur de l'Illinois Institute of Technology, concevant des projets iconiques comme la Farnsworth House ou le Seagram Building.

 

Walter Gropius, exilé en Grande-Bretagne, rejoindra lui aussi les États-Unis, et prendra rapidement la tête de la Graduate School of Design de Harvard. Il s'associera à son ancien élève, Marcel Breuer. Le style des maîtres du Bauhaus se propagea grâce à leurs nombreux disciples; Tel Aviv ne compte pas moins de 4.000 bâtiments de style Bauhaus. En parallèle de ses architectes et designers, l'esprit du mouvement fut aussi perpétué par ses artistes, tels Josef Albers, Wassily Kandinsky ou Paul Klee.

 

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