La nouvelle génération de TER (trains express régionaux) est donc trop larges pour passer sur les quais de certaines gares… Le problème, révélé mercredi par le Canard enchaîné concerne quelques 1.300 quais sur les 8.700 du réseau ferré français, qui ne sont pas adaptés aux deux modèles fournis par les deux constructeurs choisis par la SNCF: les Régiolis d’Alstom et les Regio 2N de Bombardier, qui doivent entrer en service progressivement d’ici fin 2016. 381 de ces rames ont déjà été livrées mais près de 2.000 ont été commandées aux deux constructeurs.
Réseau Ferré de France (RFF), en charge de l'infrastructure ferroviaire, a transmis les dimensions à la SNCF, qui devait se charger de la commande des trains. RFF a donné les dimensions des quais qui ont été construits il y a moins de 30 ans, autorisant la SNCF à commander des TER ayant 20 centimètres de largeur supplémentaires: or la plupart des gares ont été construites il y a plus de 50 ans, à une époque où la standardisation de la largeur des quais n'avait pas vraiment cours.
Selon le Figaro qui a contacté Réseau Ferré de France, le problème était connu depuis au moins deux ans, lors d’essais réalisés en gare «avant 2012». Mais plutôt que de revoir les dimensions des futures rames qui devaient être livrées entre 2014 et 2016, RFF aurait opté pour des travaux pour rabotter les quais concernés.
En clair, pour RFF, il n’y a pas d’erreur d’appréciation: il fallait revoir l’infrastructure. RFF admet simplement avoir découvert le problème «un peu tardivement» comme l'a reconnu son président sur Europe 1. La raison avancée par RFF pour expliquer cette apparente bévue est double: le trafic a augmenté de 50% en Ile de France et de 40% dans les autres régions en dix ans, ce qui exige de construire des trains «plus capacitaires» (= avec plus de monde à l'intérieur) et les normes d'accès aux trains pour les personnes à mobilité réduite impliquent par ailleurs des améliorations du matériel.
Bombardier écrit ainsi dans la fiche technique de son Regio 2N:
«Grâce à la largeur des caisses, les passagers bénéficient de sièges à assises larges pourvus d’accoudoirs généreux, tout en offrant un vaste couloir.»
Du côté du Régiolis d'Alstom, la SNCF précise que «les toilettes seront celles mises au point avec le Conseil Consultatif et testées dans le Train Labo. Elles sont plus spacieuses pour permettre le passage d’un fauteuil électrique tout en restant d’un encombrement comparable.»
Selon le site Transport Rail, «la vérité est un peu plus complexe que ce "scoop".» Pourquoi? «Le vieillissement du réseau fait que la voie, mais aussi quantité d'ouvrages d'art et les quais, ont tendance à bouger, sans que cela mette en péril la sécurité des voyageurs, écrit le site. Simplement, une voie qui supporte des trains faisant entre 17 et 22 tonnes par essieu, posée sur du ballast, a naturellement tendance à bouger, verticalement et transversalement. C'est physique.» Le réseau d'Ile de France a d'ailleurs déjà été confronté à ce problème avec le Francilien (qui a une largeur de 3,06 m), poursuit Transport Rail, et «le reste du réseau le découvre avec les nouveaux matériels TER».
"Des travaux qui coûteront 50 millions d'euros" par Europe1fr
Il ne s'agit donc pas vraiment d'une surprise. Sur le site du Transilien, le réseau de trains de la région Ile de France, on peut lire dès le 17 janvier 2014 que l'arrivée du Régiolis sur plusieurs lignes nécessitera des travaux de rabottage des quais, qui doivent être réduits de quelques millimètres:
«[...] il faut préparer certaines de nos gares à recevoir ce matériel.
Car le Régiolis à la particularité d’être sensiblement plus large que les trains que nous côtoyons quotidiennement sur nos lignes N et U… [...]
Certains quais de nos gares vont donc prochainement subir quelques modifications de largeur de manière à pouvoir recevoir en tout confort ce nouveau matériel.
Au total 16 gares vont voir leurs quais légèrement réduits.»
Se balader sur les sites spécialisés dans le ferroviaire permet d’en savoir un peu plus sur l’origine du problème. Le sujet était connu des techniciens, au moins depuis plusieurs mois. Le 5 mars 2014, un utilisateur du forum Cheminots, site de professionnels et geeks du rail, écrit laconiquement:
«Parait que le Région2N est "large".
Ce qui fait que la plupart des quais de la région sont en train d'être rabotés.»
Un autre lui répond:
«2,99 m. de large : ça ne passe pas partout en effet tout en étant au gabarit : je crois (j'insiste sur le "je crois") que les quais, comment dire, ne sont pas toujours pile-poil ? (spécificités du plan de voie, etc...)»
Philosophiquement, deux camps s’affrontent: ceux qui pensent qu’il faut faire rentrer les trains dans les quais, et ceux qui pensent l’inverse. Un internaute manifestement au fait de ces problèmes de normes techniques écrit:
«il a été constaté l’existence d’un nombre important ( !) de problèmes du gabarit “infrastructure” au niveau des quais, en clair : ce n’est pas conforme pour garantir la compatibilité avec un matériel utilisant au maximum les possibilités données par la fiche gabarit UIC qui définit les règles pour concevoir un matériel roulant.
Il faut donc réaliser quelques travaux pour autoriser ces engins à circuler sur certaines lignes…»
Présentation de la première rame Régiolis, à Strasbourg 5 décembre 2011. Wikimedia Commons.
Concernant le coût de l'opération, le Canard parle de 80 millions d'euros débloqués en urgence pour effectuer les travaux dans 300 gares: la facture pourrait donc être bien plus importante puisque 1.300 quais sont concernés. RFF a démenti et parle de 50 millions d'euros.
Le président de l'Association des régions de France (ARF), Alain Rousset, a déclaré que les régions ne verseraient pas «un seul centime sur ces réparations», ajoutant: «On ne va pas, quand même, être à la fois pigeon et financeurs». Alors que les régions paient les trains qui roulent sur leur territoire, c'est le tandem SNCF-RFF qui se charge de leur achat et de leur maintenance. Lors du congrès de l'ARF en septembre 2013, huits conseils régionaux avaient annoncé leur volonté de s'associer pour reprendre en main l'achat en direct de leurs matériels roulant.
Nul doute que la réforme ferroviaire, qui sera discutée au parlement cette année, verra l'histoire tragi-comique de la largeur des TER et des gares ressurgir au cours des débats.