France / Politique

François Hollande, le député européen fantôme

Temps de lecture : 6 min

En 1999, l'actuel chef de l'État a fait un passage éclair de six mois à Strasbourg et Bruxelles. Le symbole d'une époque où les leaders des partis se sentaient obligés de diriger une liste aux européennes, mais manifestaient une grande désinvolture pour l'institution.

L'affiche de campagne de François Hollande, en 1999. REUTERS/Éric Gaillard.
L'affiche de campagne de François Hollande, en 1999. REUTERS/Éric Gaillard.

«François Hollande abandonne son mandat.» C’est la dépêche laconique que les détracteurs du président rêvent chaque jour de découvrir au réveil.

Malheureusement pour eux, elle date du 14 décembre 1999, et la seule démission dont il est ici question ne concerne pas la présidence de la République, mais un simple mandat de député européen. On l’oublie souvent, mais François Hollande, Nicolas Sarkozy, François Bayrou et Robert Hue se sont en effet brièvement côtoyés au Parlement européen en 1999. Avant de vite déserter Strasbourg et Bruxelles en laissant derrière eux une feuille blanche en guise de bilan d’activité. C’était il y a seulement quinze ans, mais la désinvolture des principaux chefs de partis de l’époque à l’égard de l’Europe semble déjà d’un autre âge.

En 1999, la France n’est pas encore divisée en huit grandes circonscriptions pour les élections européennes. Chaque parti présente une seule et unique liste pour tout le pays.

Alors premier secrétaire du PS, François Hollande prend la tête d'une liste de rassemblement avec les radicaux de gauche et les amis de Jean-Pierre Chevènement. Les Français placent sa liste en tête avec 21,95% des voix au soir du 13 juin. Et comme le non-cumul entre mandats nationaux et européens n’est pas encore entré en vigueur, le député de Corrèze gagne son billet pour Strasbourg.

Mais François Hollande n’a aucune envie de mettre entre parenthèses ses fonctions déjà chronophages au Palais-Bourbon et à la tête du PS pour aller jouer au parfait député européen. D’autant que, comme l’avait déjà révélé en pleine campagne une gaffe de son colistier Olivier Duhamel, il n’a jamais eu envie de devenir parlementaire européen.

Voilà donc le futur président parti pour des mois de contorsions face à un casse-tête: comment éviter d’exercer son mandat de député européen sans pour autant l’abandonner trop rapidement, afin de ne pas donner l’impression aux Français qu’il les a trompés en sollicitant un mandat qu’il n’avait jamais eu l’intention d’honorer? Limpide comme du François Hollande.

En comparaison, Nicolas Sarkozy s’embarrassera moins de scrupules. Le chef de file du RPR démissionne de Strasbourg dès septembre 1999.

«Je siégerai autant que nécessaire»

Au lendemain de la victoire socialiste du 13 juin, sur le plateau du JT de France 3, Elise Lucet tente de coincer le Premier secrétaire du PS sur la durée réelle de son bail européen. Il s’en tire avec une formule alambiquée:

«La vie est longue, mais je siégerai autant qu’il sera nécessaire. C’est à dire que, on ne sait jamais, il peut y avoir d’autres élections, et mon rôle de premier secrétaire est de répondre à toutes les sollicitations qui peuvent se produire. Mais pour l’instant, j’ai décidé de siéger et de défendre les dossiers qui nous tiennent à coeur.»

Pendant la campagne, François Hollande avait déjà dû protester à plusieurs reprise de la sincérité de son engagement: «Je suis candidat pour siéger et pour que nos idées et nos propositions puissent être traduites dans les faits», promettait-il dans les colonnes du Monde.

En attendant de pouvoir démissionner, le patron du PS fait bonne figure à Strasbourg. Sa fiche sur le site du Parlement –toujours consultable– précise qu’il s’est inscrit à la commission du contrôle budgétaire. L’ancienne eurodéputée PS Catherine Guy-Quint, qui n’était pas placée loin de lui dans l’hémicycle pour des raisons alphabétiques, se souvient:

«François est venu voter en plénière le plus souvent possible. Je me souviens aussi de l’avoir vu plusieurs fois en réunion de groupe socialiste. Pendant six mois, il a fait tout ce qu’il pouvait.»

«On fonctionne en délégation au Parlement européen. Nos bureaux sont les uns à côté des autres, on a des réunions toutes les semaines», complète l’ancienne vice-présidente PS du Parlement européen, Martine Roure. «J’ai des souvenirs de François Hollande qui travaillait, mais pas de prises de parole dans l’hémicycle.»

L’ancien eurodéputé centriste Jean-Louis Bourlanges se fait plus lapidaire lorsqu’on lui demande quels souvenirs il garde de François Hollande à Strasbourg: «Aucun.» Quant à Olivier Duhamel, lui aussi très assidu au Parlement, il se souvient juste l’avoir aperçu dans l’hémicycle.

Sauvé par la loi sur le non-cumul

François Hollande sera sauvé par les discussions sur la loi du 5 avril 2000 interdisant le cumul entre les mandats de parlementaire national et européen. Sans même attendre l’entrée en vigueur du texte, il s’empresse de s’appliquer la nouvelle règle et abandonne son siège à Strasbourg dès le mois de décembre 1999. Avec un élément de langage bien calibré:

«Je préfère être un député présent plutôt qu'un double député absent.»

La démission de François Hollande met fin à un secret de polichinelle entretenu depuis le début de la campagne européenne. «Est-ce que, intuitivement, on s’en doutait? Oui. Est-ce qu’on nous en avait informés? Non», confie Catherine Guy-Quint. «C’était malsain. Quand on va devant les électeurs, il faut leur dire comment et avec qui on va convaincre.»

L’ancienne eurodéputée trouve «à pleurer» l’attitude des partis français vis à vis du Parlement européen, mais elle accorde des circonstances atténuantes à François Hollande:

«Le problème est que, lorsque l’on va travailler vraiment à Bruxelles, il faut accepter de ne plus avoir le même rôle dans les instances politiques nationales.»

«Je partais de chez moi le lundi matin et je ne rentrais pas avant le jeudi après-midi ou le vendredi», se souvient Martine Roure, qui a consacré un livre à son expérience d’eurodéputée. Il aurait donc été impossible pour François Hollande de tenir le PS tout en étant assidu à Strasbourg et Bruxelles. Mais pourquoi, alors, a-t-il pris la tête de la liste socialiste en 1999?

«Mais François Hollande n’avait pas le choix!», s’exclame Catherine Guy-Quint. «Tous les responsables politiques partaient la fleur au fusil. C’était leur rôle de chef de parti dans les us et coutumes de l’époque. S'il n’y avait pas été, on aurait dit: "Il se déballonne”.»

«Un très grand mépris pour le Parlement européen»

Et le patron du PS n’était pas le seul candidat malgré lui. C’est contraint et forcé que Nicolas Sarkozy a hérité du RPR et de sa campagne européenne après le départ fracassant de Philippe Séguin. Tout comme François Bayrou: Jean-Louis Bourlanges explique aujourd’hui que le patron de l’UDF souhaitait se fondre dans une liste d’alliance avec le RPR et Démocratie libérale, et qu’il a dû lui mener une intense guerre interne pour le faire changer d’avis.

A posteriori, le grand débat organisé par France 2 entre les quatre principaux têtes de liste de 1999 ressemble à une farce. Aucun ne finira son mandat. Seul François Bayrou choisira de l’exercer, mais uniquement jusqu’en 2002. «C’est évidemment très peu satisfaisant», soupire Jean-Louis Bourlanges:

«C’est la conciliation de deux logiques: une logique de visibilité qui fait que les leaders les plus connus estiment nécessairement devoir monter à la tête de leurs troupes. Et une logique de hiérarchisation, qui fait que la politique française se fait dans le Parlement français. Les leaders ont arbitré de cette façon, ce qui marque objectivement un très grand mépris pour le Parlement européen.»

A la décharge de François Hollande et de ses homologues chefs de partis, les médias de l’époque étaient les premiers à ne voir dans les élections européennes qu’un enjeu de politique franco-française. Dans une séquence qui ne manque pas de charme aujourd’hui —le premier deviendra treize ans plus tard le conseiller du second à l’Elysée–, l’une des premières remarques que Claude Sérillon fait à François Hollande au soir de l’élection de 1999 est que son score est inférieur à celui réalisé par… Laurent Fabius en 1989. Une question essentielle face aux enjeux de la construction européenne.

Entre le redécoupage de la France en huit grandes circonscriptions, qui permet aux chefs de partis de ne plus obligatoirement être candidats, et la fin du cumul des mandats, les élections-démissions de 1999 ne pourraient plus se reproduire aujourd’hui. Ce qui ne veut pas dire que la cuvée 2014 sera nécessairement moins désinvolte à l’égard du Parlement européen. «Aujourd’hui, je sais que certains préfèrent et attendent un mandat national. Mais encore faut-il l’obtenir!», sourit Martine Roure. Comme le résume Jean-Louis Bourlanges:

«On est passé de la démission quasi-instantanée à l’obligation de service minimum!»

Jean-Baptiste Daoulas

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