France / Politique

«Cette fois, c'est différent»: le message caché du slogan des européennes 2014

Temps de lecture : 3 min

Capture d'écran de la vidéo «This time, it's different» du Parlement européen.
Capture d'écran de la vidéo «This time, it's different» du Parlement européen.

La récente exfiltration d’Harlem Désir du PS vers le secrétariat d'État aux Affaires européennes a provoqué de nombreuses réactions et démontré, une fois de plus –si besoin était– la manière dont est perçue ce poste, et plus généralement la question européenne en France: au choix, un arrangement interne, une excuse nationale ou une vitrine internationale à peu de frais. Le choix d’un ancien parlementaire européen pour ce poste aurait pu être interprété autrement si celui-ci n’avait pas été pointé comme parmi les moins assidus lors de ses mandats.

Aussi, alors que s’approchent des élections européennes pour lesquelles l’ensemble des commentateurs et indicateurs laissent présager une forte abstention (qui devra être considérée néanmoins à l'aune de l'élargissement de l'Europe, et plus globalement de la baisse de la participation électorale dans les grands pays développés), une telle manifestation politique de l’exécutif français a valeur de révélateur. Et s’accorde, hélas, avec une manière tristement ironique de comprendre le slogan choisi pour porter ces élections, en apparence positif et plein d’allant: «This time it's different».

Pouvois renforcés du Parlement

Cette fois, c'est vraiment différent? Selon l’article 17/7 de la belle machine à rêver qu'est le traité de Lisbonne, le Parlement européen aura en effet des pouvoirs renforcés qui lui permettront de choisir (élire, et non plus approuver comme ce fut le cas auparavant) le successeur de José Manuel Barroso en fonction du résultat des urnes et de l’équilibre des forces en présence. De même, les commissaires seront également confortés par le Parlement.

Cette approche se veut un échange gagnant-gagnant, car en acceptant un renforcement des pouvoirs du Parlement, la Commission se voit également légitimée –enfin– par l’expression des urnes. Et cette réforme s'est accompagnée d'un réel effort de «publicisation» de la campagne pour le poste de président de la Commission.

Pour ne parler ici que de la droite (pour l’aile sociale, sociale démocrate et socialiste, l’actuel président du Parlement européen, Martin Schultz, a été désigné), l’ancien premier ministre du Luxembourg et premier président de l’Eurogroupe, Jean Claude Juncker, s'est ainsi lancé dans un marathon qui, au congrès de Dublin, l'a conduit à devancer plusieurs concurrents, donc l’actuel commissaire européen au marché intérieur et aux services financiers Michel Barnier.

Deaf and rent

Cependant, avec un accent anglais imparfait (et avec 25 langues officielles dans l’Union et trois langues de travail, des variations sur l’accent sont parfaitement envisageables), on pourrait presque entendre le slogan de ces élections de manière différente: «This time is deaf and rent».

Soit une terrible synthèse de deux problèmes majeurs auxquels se heurte l’UE aujourd’hui. Le premier est la surdité (deaf) qu’une majorité des Européens (les potentiels électeurs) reprochent aux supposées élites et, dans une moindre mesure, celle qui fait soupirer les décideurs et acteurs européens quand ils tentent d’expliquer tout ce que l’Europe apporte de bénéfique au quotidien de chacun.

Le jeu des chaises musicales auquel semblent se prêter certaines personnalités ne laisse ainsi pas d’inquiéter certains observateurs. Jean-Claude Juncker, en effet, n’a jamais vraiment caché son peu d’intérêt pour le poste de président de la Commission, préférant s’imaginer comme le successeur de Herman Van Rompuy. Il se murmure dès lors que des postulants demeurent cachés, attendant leur heure, comme l’actuelle présidente du FMI Christine Lagarde.

Doute existentiel sur l'économie

La sonorité rent du slogan renvoie elle, de manière terrible, à un autre doute existentiel pesant sur l'Europe, celui qui concerne son économie.

Le terme fait évidemment penser au loyer, mais aussi au prêt, prêt qui semble ces dernières années devenue la plus redoutable activité visible du continent. La crise de la dette qui a fait plonger l’Europe, laissant exsangues (dans des mesures différentes) le Portugal, la Grèce et Chypre, a rendu nécessaire la création de nouveaux outils de gestion et de gouvernance, et ceci d'ajouter de la complexité à la difficile lecture des organes européens de pouvoir et de décision et de contribuer à l’atmosphère anxiogène qui règne sur les débats européens.

Cet étrange lapsus, ou bien ce jeu de mot inquiétant, semble donc annoncer les défis que doivent relever l’UE et les candidats aux élections européennes. De manière révélatrice, le slogan officiel choisi pour la campagne électorale reprend d’ailleurs quasiment au mot près le titre d’un rapport américain, publié en 2008, par un think tank, passant en revue... huit siècles de crises économiques.

Xavier Carpentier-Tanguy

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