C'est dans les procès comme celui de Maurice Agnelet que les chroniqueurs judiciaires déploient tout leur talent. C'est là que ce qu'ils écrivent n'est plus seulement du fait divers, mais devient du récit d'humanité.
Après avoir été acquitté lors d'un premier procès aux assises en 2006, puis été condamné en appel en 2007, après avoir vu un pourvoi en cassation échouer en 2008, mais une décision de la CEDH permettre l'ouverture d'un troisième procès, le prévenu vient d'être condamné à vingt ans de prison pour avoir tué sa maîtresse, Agnès Le Roux, disparue en octobre 1977 et dont le corps n'a jamais été retrouvé.
Pascale Robert-Diard (Le Monde) et Stéphane Durand-Souffland (Le Figaro) sont sans doute ceux qui l'ont le mieux raconté. Présents à Rennes où se déroulait le procès, ils ont relaté mot à mot les scènes théatrales et tragiques d'une famille qui explose. Durand-Souffland:
«Elle est cher payée, cette possible vérité judiciaire qui jaillit douloureusement au procès de Maurice Agnelet. Elle pèse son poids de souffrance, de dévastation psychologique, de fractures intimes. La vérité qui nous est proposée sur la mort d'Agnès Le Roux est au prix de l'anéantissement de la famille Agnelet.»
Car dans ce troisième procès pour homicide, la famille Agnelet, déjà exsangue après la mort d'un des fils de Maurice, a vu s'opposer Thomas clamant l'innocence de son père, et Guillaume, qui après avoir fait bloc pendnat 30 ans, soudain s'est retourné. Et a expliqué à la cour qu'il savait Maurice coupable. Pascale Robert-Diard:
«L'audience avait quelques minutes à peine quand le président s'est adressé à Thomas Agnelet, le fils cadet de l'accusé, assis au premier rang du public, pour lui demander de quitter la salle et de rejoindre celle des témoins, avec l'ordre de ne communiquer avec personne et de laisser son téléphone portable. Après qu'il fut sorti, Philippe Dary [le président] a annoncé: "Nous avons reçu un procès-verbal d'audition de Guillaume Agnelet, qui s'est rendu dimanche soir au parquet général de Chambéry."
Deux courts feuillets que le président lit d'une voix neutre, maîtrisée. "J'ai souhaité vous rencontrer pour vous faire part de mon cas de conscience lié au procès de mon père, Maurice Agnelet. J'ai un témoignage à présenter devant la cour qui m'apparaît important pour la manifestation de la vérité. Je suis convaincu que mon père est bien le meurtrier d'Agnès Le Roux. J'en suis arrivé à cette conclusion à la suite des révélations que m'ont faites à la fois mon père et ma mère à qui il s'était confié".»
Là-dessus, Guillaume raconte: qu'en 1983, un jour, sa mère lui avait dit que Maurice Agnelet avait tué Agnès Le Roux, que lors d'une conversation, au début des années 2000, alors qu'il disait à son père qui venait de parler du corps non retrouvé d'Agnès Le Roux, il a dit à son père:
«Je ne sais pas si Thomas est au courant comme moi je le suis. Mais j'espère que tu te rends compte que tu es en train d'avouer le meurtre d'Agnès.»
Et qu'Agnelet a alors répondu:
«Thomas est intelligent, il a déjà compris.»
Tout est tellement bouleversant dans ces audiences, dans cette famille qui explose sous le poids des secrets, et de la justice, que les plus roués à la machine eux-même s'épuisent, comme Me Hervé Temime, un des ténors du barreau de Paris, qui soudain «se laisse submerger par l'émotion».
Pascale Robert-Diard interroge:
«Jusqu'où va la recherche de la vérité judiciaire? Jusqu’à quel degré de violence psychique peut-elle légitimement descendre?
Comment ne pas se poser ces questions en assistant, mercredi 9 avril au matin, à l'audience la plus déchirante qu'il nous a été donné de vivre? Car ce qui se jouait là n'était pas seulement la confrontation de témoins comme il en existe chaque jour dans cet univers toujours tendu, violent, de la cour d'assises. C'était bien autre chose, l'explosion en direct et en public d'une famille et de ses secrets. Rien ne peut dépasser l'intensité d'un tel moment.»