La droite a peut-être perdu Paris en sièges, mais elle l'a gagné en voix. Cet argument, dont nous vous parlions déjà au lendemain du second tour des municipales, a fait son retour dans le débat politique ces derniers jours. Notamment par la voix de la candidate UMP elle-même, Nathalie Kosciusko-Morizet, dans son discours lors de la première réunion du Conseil de Paris, le 5 avril:
«Paris sera la seule ville en France dirigée par un maire minoritaire en voix sur l'ensemble de la ville.»
Mais aussi dans un texte publié par la maire du XVIIe arrondissement Brigitte Kuster dans le Huffington Post:
«En se penchant sérieusement sur les résultats des élections municipales, on s'aperçoit, en effet, que les listes soutenues par Nathalie Kosciusko-Morizet ont recueilli un total de voix supérieur (337.826) à celles portées par Anne Hidalgo (336.292).»
Ou encore chez Valérie Pécresse, à qui France Inter demandait, le 8 avril, ce qu'il avait manqué à NKM pour gagner:
«Un mode de scrutin plus favorable, peut-être? Puisque nous savons qu'elle a été majoritaire en voix. Et effectivement, le mode de scrutin par arrondissement desservait cette candidature et rendait quasiment inatteignable l'objectif de faire basculer la capitale.»
De son côté, un blogueur, @DarthInVador, a réfuté, chiffres à l'appui, l'argument de NKM en examinant différentes hypothèses de report de voix.
Choux et carottes
Justement, les chiffres, reprenons-les. Ceux cités par Brigitte Kuster ont été fournis à l'AFP, la nuit du scrutin, par le directeur de campagne de NKM Jean-Didier Berthault, et excluent de l'addition des voix LO, le Parti de gauche ou encore le FN.
En italique, les arrondissements où un seul tour de scrutin a eu lieu.
Mais ils additionnent un peu des choux et des carottes, puisque sont agglomérés des résultats de premier tour, là où la majorité a été atteinte dès le 23 mars, et de second tour. De plus, «les listes soutenues par Nathalie Kosciusko-Morizet», pour reprendre les termes de son équipe, incluent, par exemple, celle de Charles Beigbeder dans le VIIIe arrondissement: celle-ci s'est pourtant maintenue au second tour pendant que plusieurs de ses têtes de listes refusaient d'appeler à voter pour «Nathalie Fiasco-Morizet».
Autre possibilité, réintégrer dans les blocs gauche et droite les listes LO, PG et FN. On arrive alors à un total de 50,14% pour la gauche et de 49,86% pour la droite, chiffres qu'avait d'ailleurs également fourni Jean-Didier Berthault à l'AFP.
En fait, la droite aurait bien perdu en voix, donc?
Pas si vite... Au premier tour, le total théorique des voix de gauche se situait environ à 50,6%. Il y a donc eu un peu de déperdition en une semaine. Selon nos calculs, la gauche a augmenté son total de voix d'un peu moins de 1% en moyenne, la droite d'un peu moins de 3%.
Une différence qui peut s'expliquer par de mauvais reports de voix pour la gauche et une mobilisation plus forte à droite, avec de bons reports FN. Des tendances qui se sont d'ailleurs vérifiées dans toute la France, ce qui explique la perte de villes comme Limoges ou Tours, où la gauche semblait avoir un matelas suffisant après le premier tour.
Un écart de... six voix
S'il y avait eu un second tour partout, la droite aurait donc pu combler son retard. Si on applique nos reports de voix «moyens» aux six arrondissements concernés, on arrive en effet, dans notre simulation, à un écart (très) théorique de... six voix en faveur de la droite.
Mais les arrondissements en question auraient-ils connu ces reports de voix «moyens»? Difficile de trancher quand on regarde les chiffres par arrondissement, très variables: la droite a par exemple connu une bonne dynamique dans les VIIe et VIIIe arrondissements entre les deux tours (mais les électeurs de droite y avaient le choix entre deux listes) alors qu'elle a été plutôt meilleure à gauche dans le Ve (mais la droite y était très divisée au premier tour).
Au final, une seule chose semble sûre: NKM peut effectivement dire qu'en voix, la droite était au coude-à-coude avec la gauche à Paris.
Mais si l'élection avait eu lieu sur l'ensemble de la capitale et pas par arrondissements, comme la droite le réclame, elle se serait déroulée de manière très différente: un électeur du XXe ou du XVIe arrondissements, joués d'avance, y aurait eu la même incitation à voter que ceux des très serrés XIIe ou XIVe arrondissements. La preuve? À la présidentielle, les différents arrondissements se mobilisent de manière bien plus homogène (80% à 85% de participation) qu'aux municipales (50% à 65% de participation).
Jean-Marie Pottier