France / Politique

Comprendre le vote à Paris: des ilôts bleus dans les plaines roses [CARTES INTERACTIVES DES BUREAUX DE VOTE]

Temps de lecture : 4 min

Joël Gombin, chercheur en science politique et membre de l'Observatoire des radicalités politiques de la Fondation Jean-Jaurès, a analysé le second tour des municipales bureau de vote par bureau de vote. Qui, de la gauche ou de la droite, a gagné chaque bureau? Où la gauche a-t-elle progressé depuis 2012?

A Paris, la gauche a remporté, dimanche 30 mars, onze des vingt arrondissements de la capitale, la droite en ajoutant de son côté cinq aux quatre conquis dès le premier tour. Mais existe-t-il des zones de droite dans les arrondissements de gauche, et vice-versa?

Pour le savoir, comme au premier tour, nous avons élaboré, en collaboration avec Joël Gombin, chercheur en science politique et membre de l'Observatoire des radicalités politiques de la Fondation Jean-Jaurès, une carte du vote vu au niveau de chaque bureau.

Celle-ci montre quel camp, gauche ou droite, a recueilli la majorité des suffrages au second tour.

Dans treize arrondissements, celui-ci opposait la liste soutenue par Anne Hidalgo à celle soutenue par Nathalie Kosciusko-Morizet. Dans deux arrondissements, nous avons ajouté au score de NKM celui d'une liste divers droite, celles de Christian Le Roux (VIIe) ou Charles Beigbeder (VIIIe). Et dans le XXe, au score d'Anne Hidalgo celui de la liste Parti de gauche de Danielle Simonnet. Les Ier, VIe, XVIe et XVIIe, gagnés par la droite au premier tour, apparaissent eux en grisé.

Voici les principales conclusions que l'on peut tirer de cette carte, ainsi que de celles que nous avons établies sur l'évolution du score de la gauche par rapport à la présidentielle 2012 et le pourcentage de votes blancs et nuls.

Le score de chaque camp au second tour

1. Les arrondissements monolithiques

Dans six arrondissements (VIIe, VIIIe, Xe, XIe, XIXe, XXe), un même camp remporte l'intégralité des bureaux de vote.

Mais gauche et droite ne réalisent pas leurs Grands Chelems exactement de la même façon: là où la droite dépasse les 80% dans la quasi-totalité du VIIe et du VIIIe, avec une pointe à près de 91% (pour deux listes) le long de l'avenue du Champ-de-Mars et de la tour Eiffel, la gauche «plafonne» à près de 84% sous le parc de Belleville (XXe), là aussi pour deux listes.

Un détail qui reflète en réalité un des principaux problèmes de la droite parisienne, repliée et surconcentrée sur ses bastions. Or, le mode de scrutin parisien par arrondissement fait que toutes les voix ne se valent pas: les 6.000 voix supplémentaires qui permettent à la droite de faire 90% plutôt que 70% dans le VIIIe ne rapportent pas un siège, et lui seraient bien plus utiles pour passer de 47% à 51% dans le décisif XIIe arrondissement...

2. Des «ilôts» roses ou bleus

Certains arrondissements très facilement gagnés par un camp laissent cependant prospérer des ilôts ou l'autre est majoritaire: en quelques rues, on voit le score de la gauche ou de la droite s'envoler ou chuter de quinze ou vingt-cinq points.

Dans le XIIIe, gagné avec plus de 62% par la gauche, la droite est ainsi majoritaire dans deux bureaux de vote, à l'angle du périphérique et de l'avenue d'Italie et autour de la Halle Georges-Carpentier, une des zones plus modestes de l'arrondissement. Dans le IIIe, à l'inverse, elle est majoritaire sur la gauche dans un des bureaux les plus aisés, en plein Marais. Enfin, dans le XVIIIe, elle est majoritaire dans trois bureaux situés entre la Butte et le cimetière Montmartre.

Les bureaux de vote du XVIIIe arrondissement

Dans le XVe, la gauche, écrasée sur l'ensemble de l'arrondissement, est elle majoritaire, de très peu, dans deux bureaux, dont celui coincé entre le périphérique et Issy-les-Moulineaux dans le quartier de Javel, au sud-ouest. Le revenu médian des ménages y est inférieur de près de moitié à celui de l'ensemble de l'arrondissement.

Les bureaux de vote du XVe arrondissement

3. Les arrondissements disputés

Six arrondissements, enfin, ont été un peu plus disputés: le IIe, le IVe, le Ve, le IXe, le XIIe et le XIVe.

Dans le IIe, si le résultat final n'a pas été particulièrement serré (58% pour la gauche), la coupure est nette: l'est de la Bourse (le quartier de Bonne-Nouvelle, moins aisé) vote à gauche; l'ouest, vers l'Opéra-Garnier, à droite. On retrouve une coupure du même type dans le IXe, qui a lui basculé à droite: le sud et l'ouest sont bleus (avec une pointe à près de 70% pour la liste NKM le long des grands magasins du boulevard Haussmann) et le nord et l'est, le long des boulevards de Rochechouart et de Clichy, restent rose.

Le IVe, lui, a failli basculer à droite, à 55 voix près, grâce notamment au vote massif (deux-tiers) des bureaux de vote de l'île Saint-Louis. Dans le Ve, ce sont les bureaux de l'est (autour du Jardin des plantes et le long du boulevard Saint-Marcel) et de l'ouest (autour du Val-de-Grâce, par exemple) qui sauvent le fief des Tibéri.

Enfin, dans les XIIe et XIVe, ce sont respectivement les quartiers de Picpus/Bel Air et de Montparnasse qui ont fourni leurs meilleurs scores à la droite, qui a échoué de peu à reprendre ces arrondissements.

Les bureaux de vote du XIVe arrondissement (et de l'est du XVe)

4. La gauche chute par rapport à 2012...

Sans surprise, la gauche est en baisse quasiment partout par rapport à 2012, où François Hollande recueillait environ 55% des voix au second tour. Certes, elle limite la casse dans certains arrondissements: elle perd par exemple moins d'un point dans le IIIe et augmente son score dans la même proportion dans le IIe. Dans ce dernier arrondissement, les bureaux de vote de l'est, qui ont fait la victoire de la gauche, ont davantage voté pour la liste Boutault (EELV-PS) en 2014 que pour François Hollande en 2012.

Le XXe arrondissement se distingue également par le nombre de bureaux où le score de la gauche est à la hausse, mais celle-ci y était avantagée par la présence de deux listes au second tour.

Mais dans d'autres quartiers, la chute est impressionnante. C'est le cas par exemple dans de nombreux bureaux du XVe (dans celui de Javel où elle est majoritaire, la gauche perd 16 points par rapport à 2012) ou du XVIIIe: un des bureaux situés sur la porte de Clignancourt voit le score de la gauche baisser de près de 22 points, soit de 650 à 250 voix en deux ans.

L'évolution de la gauche entre 2012 et 2014

5. ...et les blancs et nuls sont forts dans ses fiefs

La moyenne de bulletins blancs et nuls au second tour s'est établie à 3,6%. Elle a été nettement inférieure dans de nombreuses zones des VIIe et VIIIe, où les électeurs de droite avaient le choix entre deux listes. Et si les arrondissements de gauche (XIIIe, XVIIIe, XIXe...) ont davantage voté blanc et nul, le XXe, où les électeurs de gauche avaient le choix entre PG et PS, a aussi limité la casse.

Les votes blancs et nuls au second tour

Cartes: Joël Gombin (fonds de carte: Mairie de Paris. Données: ministère de l'Intérieur)

Texte: Jean-Marie Pottier

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