La gauche est-elle vraiment majoritaire à Paris? La question peut paraître saugrenue, au lendemain d'un second tour qui l'a vue rester dominante dans onze arrondissements sur vingt et au sein du Conseil de Paris (92 sièges sur 163), mais elle ne l'est pourtant pas tant que ça si l'on raisonne en voix et non plus en sièges.
Scrutin par arrondissements oblige, il est théoriquement difficile de savoir quel candidat est majoritaire sur ce plan à Paris. Depuis 1977, il n'est arrivé qu'une seule fois, en 2001, que les vingt arrondissements connaissent un second tour –mais même cette année-là, la comparaison n'était pas totalement possible puisqu'il y avait plusieurs listes de droite: face aux listes de Bertrand Delanoë (49,6% des voix), les listes de Philippe Séguin (36,2%), Jean Tiberi (12,3%) et divers droite (1,9%) auraient-elles été majoritaires en voix si elles s'étaient unies partout?
Théoriquement majoritaire au premier
Cette année, au premier tour, la gauche a recueilli 50,31% des suffrages, la droite 42,11% et le FN 6,26%. La gauche était donc théoriquement majoritaire en comptant sur une addition parfaite de toutes ses forces, du LO au PS.
Au second tour, les listes de gauche ont recueilli 54,7% des voix contre 45,3% pour celles de droite dans les seize arrondissements restant en jeu. Des chiffres qui ne veulent pas dire grand-chose puisque les quatre arrondissements attribués au premier tour (Ier, VIe, XVIe, XVIIe) penchent tous fortement à droite.
Pour remédier à ce biais, l'institut CSA a donc additionné à ce score les résultats de ces quatre premiers tours. Au total, les listes Hidalgo atteignent 48,8%, les listes NKM 46,2% et les autres listes 5%.
#Municipales2014 #Paris Tour décisif (1er tour pr 1er, 6e, 16e, 17e arr.; 2nd tour pr les autres) Hidalgo 48.8%/ NKM 46.2%/ Autres 5% @BFMTV
— Institut CSA (@InstitutCSA) 30 Mars 2014
C'est dans ces 5% d'«autres» que réside la clef de la majorité absolue. On y trouve deux listes divers droite (Christian Le Roux dans le VIIe et Charles Beigbeder dans le VIIIe) et la liste Parti de gauche de Danielle Simonnet dans le XXe, toutes qualifiées pour le second tour. On y trouve aussi les «petites» listes (EELV, PG, FN, divers droite...) des quatre arrondissements gagnés dès le premier tour.
Poussée plus forte à droite
Comment leurs voix se seraient-elles reportées si un second tour avait eu lieu? Pour essayer de l'estimer, nous avons calculé la progression de chaque camp entre les deux tours dans les treize arrondissements où avait lieu un duel PS-UMP.
Une opération qui montre une poussée nette de la droite qui, quasi-systématiquement, recueille bien plus que le total droite-extrême droite cumulé du premier tour, ce qui explique ses gains en sièges dans plusieurs arrondissements par rapport à 2008.
Dans le IXe arrondissement, gagné d'extrême justesse par l'UMP avec une hausse de la participation, le total des voix de gauche s'accroît d'environ 2% entre les deux tours, celui de droite d'environ 10%: la droite l'emporte alors que le total droite-extrême droite du premier tour plafonnait à 48,5%. Dans le IVe, gagné d'un souffle par la gauche, les hausses sont de respectivement 4% et 8%. Dans le XIIe, de 2% et 7%...
Le même phénomène se constate dans des arrondissements acquis à la gauche: -5% et +8% dans le IIIe, -4% et +12% dans le XIe, un total gauche stable et +11% à droite dans le XIIIe… Seuls deux arrondissements font clairement exception, le Ve (le seul où fusionnaient deux grosses listes de droite) et le XVIIIe (où la dissidente de droite Roxane Decorte avait appelé à voter PS).
49,7% à 50,2%
En moyenne, sur l'ensemble de ces treize arrondissements, et dans l'hypothèse la plus restrictive, la droite augmente son matelas de voix d'environ 4% entre les deux tours; la gauche, de seulement 1%.
Nous avons testé ces chiffres sur les quatre arrondissements où il n'y a pas eu de second tour. Pour chaque camp, nous avons calculé une fourchette de score, soit en utilisant cette hypothèse de reports de voix favorable à la droite, soit en faisant simplement l'addition des voix de la gauche et de la droite au premier tour.
Résultat? Dans le scénario le plus favorable à la gauche, on arrive à un total parisien de plus de 50,2% pour elle, dans la lignée du premier tour. Dans le moins favorable, de 49,7%, reflet de reports de voix moins bons. Bref, l'électorat parisien est coupé en deux.
Une incitation à changer le mode de scrutin?
Bien sûr, il ne s'agit que d'une estimation: à système électoral différent, vote différent. Si Anne Hidalgo et Nathalie Kosciusko-Morizet s'étaient affrontées directement sur une circonscription unique, le vote n'aurait pas été le même. Pas de têtes de listes, une incitation à participer au vote égale pour tous les Parisiens (là où, dimanche, un électeur du XIe était beaucoup moins incité à se déplacer qu'un électeur du IVe)...
Mais le chiffre que nous avons calculé montre bien que, quand la gauche l'emporte largement en sièges à Paris, le résultat est systématiquement plus serré en voix. En 2011, le géographe Matthieu Jeanne avait d'ailleurs obtenu une répartition des sièges quasi-identique à celle de cette année en transposant par arrondissements les résultats de la présidentielle à Paris, où Nicolas Sarkozy avait obtenu 50,04% contre 49,96% pour Ségolène Royal.
C'est donc une fois de plus confirmé: pour espérer reprendre Paris, la droite, trop concentrée à l'Ouest et à qui il a manqué trois points pour faire basculer les décisifs XIIe et XIVe arrondissements, devra y réaliser un score bien plus fort que 50% plus une voix. Ou réformer le mode de scrutin pour que le maire soit élu sur une circonscription unique, comme elle l'a déjà proposé.
Jean-Marie Pottier