«Quelle couleur pour le Front national sur les cartes? Noir? Marron?» «Violet!» Chez Slate, on a eu du mal à choisir la couleur à attribuer au FN sur nos cartes de résultats des élections municipales. Et il semble que nous ne sommes pas les seuls. En fonction des médias, on trouve le parti de Marine Le Pen en noir, en marron, ou encore en bleu foncé. Et un même média ne se cantonne pas toujours à une seule couleur. C’est d’ailleurs notre cas, mais c’est aussi celui du Monde. Le rédacteur en chef du quotidien Nabil Wakim témoigne:
«Pour le Front national, on oscille entre les couleurs depuis plusieurs années, sans vraiment trouver la bonne couleur.»
Pourquoi tant d’hésitation? Pour Nabil Wakim, il n’y a pas de raison particulière:
«On ne se dit pas “ce sera telle couleur pour telle raison”»
Pourtant, qu’on le veuille ou non, les couleurs ont des significations. Si le bleu est historiquement associé à la droite, il en est de même entre les nuances de rouge pour la gauche. Il n’y a qu’à voir sur les cartes: l’UMP est en bleu, le PS en rose, et les partis d’extrême gauche en rouge.
Le noir et le marron, en revanche, sont depuis des décennies des couleurs associées aux fascistes et aux nazis. Les «chemises brunes» des nazis, ou les chemises «noires» de Mussolini en sont les emblèmes. En 2005, un colloque international s’interrogeait sur les liens entre couleurs et politique:
«Si la couleur noire était attribuée au XIXe siècle aux partis cléricaux, elle fut choisie ensuite, avec une volonté politique plus affirmée, par les anarchistes, d’abord, puis par les fascistes.»
Le fait de choisir ces couleurs pour le Front national aura donc nécessairement une connotation, même si elle ne résulte pas d’une volonté éditoriale à proprement parler. La question esthétique entre également en jeu, et pousse à faire un choix plutôt qu’un autre, explique un infographiste du Monde:
«Si sur la même carte il y a l’UMP et le FN, on ne peut pas mettre les deux partis en bleu, sinon, il y a un risque de confusion.»
De la même manière, mettre le Front national en bleu apparaît significatif. Arnaud Mercier, professeur d’information et communication à l’université de Lorraine, détaille:
«La couleur choisie pour le FN n’aura pas nécessairement un impact sur la représentation que l’on se fera du parti. Mais cela montre que la représentation de ce parti est en train de changer, et que les médias intègrent ce changement.»
Pour Arnaud Mercier, le parti de Marine Le Pen est de plus en plus banalisé dans les médias. Et cette «aseptisation» du parti se traduit également dans les couleurs utilisées sur les cartes.
«Certains médias utilisent toujours le noir. Mais d’autres intègrent l’idée que le FN s’inscrit dans un continuum qui va de la gauche à le droite, et choisissent donc une teinte de bleu.»
Selon lui, choisir une couleur autre que le bleu ou le rouge montre que l’on considère le parti en rupture avec la droite et la gauche: le vert pour les écologistes par exemple, ou encore le orange pour le Modem. Ou le marron ou le noir pour le Front national, si l’on voit ce parti en dehors du spectre politique «traditionnel».
Si c’est le bleu foncé qui l’emporte, cela induit que le parti de Marine Le Pen représente la droite.
C.J.