Le revers de la gauche aux élections municipales paraissait acquis depuis le premier tour du dimanche 23 mars, qui l'avait vue recueillir 37,7% des voix contre 46,5% pour la droite. Mais son ampleur restait à évaluer avec précision. Elle l'est désormais: c'est une véritable déroute pour la majorité, le député PS de Paris Jean-Christophe Cambadélis ayant reconnu sur i>TELE «la plus lourde défaite du socialisme à des élections locales» et celui du Finistère Jean-Jacques Urvoas une «punition».
La défaite est encore plus lourde qu'en 1983 et 2001. Le PS, qui pouvait encore espérer à la veille du scrutin essuyer des pertes substantielles dans les villes de plus de 30.000 habitants, mais les masquer par une relative bonne tenue dans les plus grandes villes, perd sur tous les plans: très grandes villes, communautés urbaines, ministres-candidats, affrontements avec le FN, futures sénatoriales…
Voici sept critères permettant de jauger l'ampleur du désaveu de ce dimanche 30 mars, à court et long terme.
1. La gauche minoritaire dans les villes de plus de 30.000 habitants...
Celles-ci constituent traditionnellement le critère privilégié pour évaluer le résultat des municipales. Selon un décompte établi en fin de soirée par Bernard Sananès, de l'institut CSA, la gauche perd pas moins de 61 villes de plus de 30.000 habitants et préfectures (certaines préfectures de département comptant moins de 30.000 habitants). Elle devient nettement minoritaire dans cette catégorie.
258 villes de +30 000 hab et préf.: droite 165 / gauche 91/ fn 2. 61 villes ont basculé à droite.3 à g. #municipales2014 @InstitutCSA
— bernard sananes (@bernard_sananes) 30 Mars 2014
2. ... et de 100.000 habitants
Avant le scrutin, la gauche contrôlait 29 des 41 villes de plus de 100.000 habitants (dont 26 pour le PS), la droite 12 (dont une pour l'UDI). La gauche pouvait donc se permettre de perdre au maximum huit villes pour rester majoritaire dans cette catégorie.
Pari perdu, elles sont dix à basculer: Amiens, Angers, Argenteuil, Caen, Reims, Saint-Paul, Saint-Étienne, Toulouse, Tours et, ce qui constitue sans doute la plus grande surprise du scrutin, Limoges, où la gauche était majoritaire depuis 1912. Parmi les rares bonnes surprises côté PS, la victoire du maire sortant Roland Ries à Strasbourg.
3. Le PS battu sur sa gauche
Dans plusieurs grandes villes, le PS a été battu par d'autres formations de la majorité parlementaire ou de la gauche.
À Grenoble, la liste d'union EELV-Front de gauche d'Éric Piolle devance ainsi de plus de dix points celle du candidat PS Jérôme Safar. Ce dernier s'était vu retirer l'investiture du parti entre les deux tours après avoir refusé de se rallier à la liste arrivée en tête.
Autre scénario baroque, celui de Montpellier, où le candidat d'Union de la gauche Jean-Pierre Moure a été battu, dans une quadrangulaire avec l'UMP et le FN, par le candidat PS dissident Philippe Saurel, auquel s'était rallié... la maire PS sortante Hélène Mandroux.
À Saint-Denis, le candidat PS Mathieu Hanotin s'est incliné face au Front de gauche Didier Paillard. À La Rochelle, qui avait déjà connu un psychodrame du même type en 2012, la candidate PS Anne-Laure Jaumouillié a perdu face au dissident Jean-François Fountaine.
4. Plusieurs défaites face au FN
La gauche, qui avait perdu dès le premier tour une ville, Hénin-Beaumont, face au Front national, a essuyé plusieurs autres revers du même type dimanche soir.
À Hayange, le FN l'a ainsi emporté en quadrangulaire face, notamment, au maire PS sortant Philippe David. En revanche, à Forbach, le maire PS Laurent Kalinowski, menacé dans une quadrangulaire avec le frontiste Florian Philippot et deux listes de droite, a été reconduit.
Le PS s'est également incliné face au FN à Mantes-la-Ville, Villers-Cotterets et Camaret-sur-Aigues. La gauche a en revanche conquis Avignon en triangulaire alors que le FN y était arrivé en tête au premier tour.
5. Plusieurs ministres au tapis
En 1983, huit ministres de gauche avaient perdu, mais aucun n'était sortant. En 2001, cinq «seulement» s'étaient inclinés, dont un sortant, Jack Lang à Blois. Le verdict de 2014 est encore plus sévère pour le parti majoritaire, puisque quatre ministres sortants se sont inclinés.
Au premier tour, c'était le cas déjà de Victorin Lurel, dernier de liste à Vieux-Habitants, en Guadeloupe. Il a été rejoint au second par Pierre Moscovici à Valentigney, François Lamy à Palaiseau et Guillaume Garot à Laval, ce dernier dans une ville qu'il avait conquise en 2008. Des défaites qui risquent de peser lourd à l'amorce d'un remaniement.
En ce qui concerne les ministres qui tentaient de déloger la droite, après Michèle Delaunay (deuxième de liste à Bordeaux), Marie-Arlette Carlotti a sans surprise été battue dans le IIIe secteur de Marseille.
6. Des pertes majeures dans les grandes métropoles
Conséquence de défaites dans les villes-centres, mais aussi dans les communes moyennes alentour, la gauche pourrait se retrouver à égalité avec la droite au sein des quatorze métropoles en voie de création d'ici 2016.
Alors que la droite ne contrôle pour l'instant que celle de Nice, la gauche semble avoir déjà perdu la communauté urbaine de Bordeaux et devrait aussi perdre celles de Toulouse et de Aix-Marseille. En perdant Roubaix et Tourcoing, malgré sa victoire à Lille, elle semble aussi en position de perdre la communauté urbaine lilloise. Et malgré ses victoires dans ces grandes villes, cela pourrait aussi être le cas de celle de Lyon et surtout, du futur Grand Paris!
7. Le Sénat perdu en septembre?
L'ultime effet de cette défaite aux municipales devrait se faire sentir en septembre, au moment des sénatoriales, la gauche ne disposant que de trois sièges de plus que la majorité absolue au sein de la Haute assemblée.
Une partie perdue d'avance? A première vue, les choses semblent un peu plus compliquées que cela. L'équilibre du collège électoral, composé à 95% de conseillers municipaux, a été modifié en faveur des grandes villes: une commune de 100.000 habitants, par exemple, y désignera 142 délégués au lieu de 125 précédemment. Les départements qui élisent trois sénateurs, qui sont majoritairement de droite, les désigneront désormais à la proportionnelle et non plus au scrutin majoritaire. Enfin, la moitié du Sénat qui est renouvelée cette année penche à droite.
Mais les experts électoraux de la droite interrogés par le JDD prévoient d'ores et déjà une bascule. Une seule certitude en tout cas, le président du Sénat changera, Jean-Pierre Bel ayant annoncé son départ.
Jean-Marie Pottier