PERPIGNAN (Pyrénées-Orientales)
C'est dans un vaste restaurant excentré que Louis Aliot avait organisé sa soirée électorale. Ce dimanche à Perpignan il pleut par moments, le vent est violent: sur le chemin qui mène au restaurant, un vieux monsieur arrête sa voiture pour nous amener. Il n’est pas coutumier des soirées frontistes, et on croisera bien d’autres personnes comme lui. Car les gens vont affluer, par vagues successives et différenciées. Globalement, les isoloirs ont été eux plutôt boudés, avec une abstention de 42,88% sur la seule ville de plus de 100.000 habitants où le jeu est ouvert pour le Front national.
Depuis un mois, sondages, presse et rumeurs le disent: l’affaire est pliée, Louis Aliot, vice-président du FN et compagnon de Marine Le Pen, ne pourra pas réussir son pari. La ville est tenue par l’équipe sortante depuis 1958. Le maire sortant, Jean-Marc Pujol, est un membre de la Droite forte qui a réussi l’union de l’UMP et l’UDI et a pratiqué l’ouverture en ralliant aussi bien les catalanistes que le chevènementiste Olivier Amiel. Oui mais…
L’équipe sortante ne veut parler que de ses projets urbanistiques. Ses dépliants ressemblent à ceux que les Témoins de Jéhovah produisent pour représenter le Paradis: une iconographie de la douceur et du bien-être montrant comment l’urbanisme de la ville aura entièrement changé dans six ans. Jean-Paul Alduy, maire de 1993 à 2009 excellait à faire ainsi rêver les Perpignanais.
Mais le compte n’y est plus: Perpignan est la ville la plus endettée par habitant, la quatrième ville où la répartition des richesses est la plus inégalitaire, la cinquième ville la plus pauvre, régulièrement des immeubles s’écroulent dans son centre ville (deux durant la campagne).
Alors, la passerelle par-dessus la rivière pour 5 millions d’euros, le rond-point artistique à plus de 200.000 euros, sont des ambitions qui ne passent plus guère.
Pour les Perpignanais, la liste Aliot correspond qui plus est à un système de représentations. Ici, nombre d’habitants sont convaincus que l’UMP à la mairie et le PS au conseil général ne sont que deux systèmes clientélistes en lutte, s’appuyant pour le PS sur la minorité maghrébine, pour l’UMP sur cette communauté gitane qui est la plus importante d’Europe occidentale.
Le choix du FN représente un moyen de faire exploser ce système vermoulu pour les exclus des bénéfices de ce double clientélisme, pour enfin permettre une redistribution des parts du gâteau.
Le vote des communautés
Lorsque nous arrivons au restaurant, il n’y a encore guère que les fidèles. Ceux qui, depuis au moins deux ans, sont engagés soit au FN soit au Rassemblement Bleu Marine, avec quasiment tous le même motif: ils sont là «pour Louis». Les premières tendances donnent Aliot devant Pujol. Les conversations interrogent la possibilité de nouvelles affaires de fraude, alors que l’élection de 2008 avait été annulée suite à la «fraude à la chaussette».
Un groupe de Gitans arrive, ils s’installent autour de deux tables. Durant la campagne, Louis Aliot a régulièrement pris leur défense dans une ville où ils sont honnis, au risque de parfois troubler son électorat. A 20h40, une trentaine d’autres débarqueront. Dans les trois bureaux de vote du quartier gitan de Saint-Jacques, dans le centre ville, la liste Aliot obtient 33,57%, 28,44% et 24,56%.
Dans cette ville où l’espace est construit par communautés, on trouve aussi dans l’assistance nombre de personnes de la communauté pied-noir (à l’automne 1962, 12.000 pieds-noirs avaient rallié Perpignan, tandis qu’autant de harkis étaient adressés au proche camp de Rivesaltes, changeant la physionomie urbaine et électorale du territoire).
Les tête de listes UMP, PS et FN sont originaires de cette communauté, et le font savoir. Au bureau de vote de Vertefeuille, en plein quartier à forte présence pied-noir, la liste Aliot arrive à 38,72%.
Du côté de la bourgeoisie du centre ville, censée avoir les idées d’Aliot mais le vote Pujol, il se passe aussi quelque chose. Le dépouillement du bureau de vote de la mairie tombe à 19h20. On commente: Aliot est 7 points devant Pujol, qui a pourtant sur sa liste sacrifié le maillage territorial de la cité pour faire la part belle à cette catégorie et à cette zone. Manifestement, la tactique n’a pas été opératoire et a été payée cher sur d’autres zones.
Ceux qui arrivent
Au fur et à mesure que les résultats tombent, le public change. A 19h, on discute avec un policier républicain et chaleureux qui réprouve tant le racisme que la dénonciation de l’assistanat, mais pense que le FN peut relancer le sens de l’Etat, la vocation des services publics, la méritocratie républicaine.
A 20 heures, on discute gaullisme et nazisme avec un monsieur élégant et cultivé qui se reconnaît dans les Croix-de-feu et Georges Sorel (théoricien de l’anarcho-syndicalisme qui influença Benito Mussolini). Dans cette ambiance, bien moins festive que ce que l’on eût pu imaginer pour une liste qui a plus que triplé son score en un mandat, les ovations saluent néanmoins les scores de Robert Ménard, Gilbert Collard et Steeve Briois.
Et à compter du moment où ces bons résultats frontistes sont parus publiquement, la salle connaît de nouveaux arrivants. Louis Aliot est en tête avec 34,19%, quand Pujol fait 30,67%. Cette bourgeoisie qui s’est tenue loin jusque-là, pour ne pas se compromettre, sentirait-elle le vent indécis? Des groupes de dames arborant collier en or et tenue élégante, quelques membres des jeunes générations de la grande bourgeoisie locale qui n’ont jusque-là jamais participé à des soirées FN viennent serrer la main, boire un verre. Tous jouent le jeu du «nous avons toujours été là».
Louis Aliot arrive avec quelque retard. Dans cette salle un peu éteinte, il faut un peu de temps pour qu’il électrise l’ambiance. Il s’isole un temps avec la presse. Il tend la main tant aux électeurs centristes que gitans, lorsqu’il évoque «une ville où l’on a parqué des communautés contrairement à l’idéal républicain que je me fais». Il affirme qu’il veut être au service de ses concitoyens «quelle que soit leur origine, leur religion, leur origine sociale... Perpignan retrouve un visage humain».
On se rappelle l’espace d’une seconde qu’il fut le coauteur du discours de Jean-Marie Le Pen le soir du 21 avril 2002, et que c’est lui qui plaça cette fameuse phrase dans la bouche du président du FN:
«J’appelle les Françaises et les Français, quelle que soit leur race, leur religion ou leur condition sociale, à se rallier à cette chance historique de redressement national.»
Louis Aliot a été l’un des principaux concepteurs de la ligne dite de «dédiabolisation», il n’a pas changé de stratégie à l’échelle locale.
Il n’ouvre pas sa liste et, outre les électeurs des listes exclues du second tour, il appelle les électeurs de Pujol qui ont voté UMP par crainte d’une mairie PS à le rejoindre (un scénario exclu avec un score de la liste PS-PCF réduit à 11,87%, tandis que la liste EELV a fait 5,67%).
Louis Aliot rejoint les militants. Il les harangue:
«Les Catalans sont des gens fiers! Les Catalans ont le sang chaud!»
Avec la salle, il entonne La Marseillaise. Les nouveaux convertis en cravate tentent de s’adapter à ce qu’ils imaginent devoir être une attitude frontiste décomplexée: ils se montrent agressifs envers les journalistes puisqu’ils ne chantent pas –les militants qui ont été à l’œuvre depuis des années savent eux ce qu’est se tenir, et vous servent un verre.
C’est la fin, on va filer. On entend que Christian Bourquin, le président de région socialiste, propose une «fusion républicaine» ou rien du tout. Une façon, à deux mois des européennes, de donner une absolue concrétisation au slogan frontiste de «l’UMPS», ou sans doute plus réellement de laisser à l’UMP la responsabilité de l’absence de «front républicain».
Sur le parking, les Gitans frontistes fument la cigarette. On en emprunte une à une militante. On s’éloigne du brouhaha de la salle. C’est lui qui vient à la ville.
Nicolas Lebourg