Drôle d’endroit pour vivre une soirée électorale. Le couloir qui longe les deux studios de France 2 et France 3 est un lieu de passage. Les photographes et les caméras autorisées sont disposés entre le parking et l’entrée des plateaux.
Les politiques apparaissent dans la lumière des néons. Ils sortent de leurs voitures, de leurs taxis, pour certains, puis se mettent en branle pour s’exposer à la caméra qui se dirige vers eux.
Bien avant l’horaire officiel d’annonce des résultats, les visages sont pour la plupart graves. Le boulot du politique, c’est aussi d’assurer le service après-vente d’un vote, même si celui-ci ne lui est pas favorable.
Jean-Vincent Placé (EELV) est tout de suite mis dans le bain. Il s’arrête en premier devant les micros qui se tendent:
«Est-ce que c’est la place du politique qui est remise en question?»
Le sénateur écologiste marque une pause, comme s’il prenait un coup de poing. Il prend du temps pour tenter de développer une idée qui tourne autour d’une volonté de ne pas dramatiser l’enjeu et la portée du vote.
Rama Yade (UDI) se soumet au flot des questions en sortant du plateau. Elle se dit «dramatiquement surprise par le résultat du FN» puis s’enquiert de la commande de son taxi.
Pierre Laurent débarque à son tour. Il est suivi par des membres de son équipe. Problème, la caméra de France 2 n’est pas là. On fait attendre le secrétaire national du PCF. Le politique se fige et reste là, les deux pieds plantés dans le couloir. Il porte un demi-sourire qui n’est pas loin de se transformer en agacement. La caméra revient, on peut à nouveau commencer la scène…
Les politiques qui arrivent croisent les techniciens qui sortent des studios et courent vers les régies. Les équipes des politiques se regardent, s’évitent. Pas un échange entre eux, comme si chacun avait son propre couloir. Ils viennent faire leurs déclarations, débattre dans la lumière, puis quand ils sortent s’ignorent superbement.
La dernière que nous attendons est Marine Le Pen. Comme toutes les stars d’un soir, elle se fait attendre. Elle arrive presqu’au dernier moment, déjà accrochée à son téléphone. La présidente du Front national se justifie vaguement de son retard par un «ben j’étais chez TF1 mais ils me lâchaient plus...».
Elle porte le menton haut et le regard porte loin. Un sourire de circonstance apparaît lorsque la caméra officielle rentre dans son champ de vision. Pas de question pour l’instant, on accompagne la gagnante de la soirée directement en plateau. Le maquillage réalisé sur elle par les maquilleurs de TF1 fera l’affaire.
A l’extérieur du plateau, nous regardons les débats et les résultats qui s’égrènent. Dans cette coulisse, se mélangent techniciens, journalistes, membres des équipes politiques, gens de passage dont on se demande ce qu’ils font là.
J’envoie mes photos rapidement en écoutant les commentaires de ceux qui peuplent le couloir. Certains se remémorent le 21 avril 2002, ils font le parallèle avec ce que nous vivons ce dimanche soir. L’image de Steeve Briois passant au premier tour à Henin-Beaumont sidère les techniciens qui arrêtent leurs courses et regardent l’écran suspendu au-dessus de la porte d’un studio.
Après le débat en plateau, les politiques ressortent. Pierre Laurent se plante devant les caméras. Il dit que «ce gouvernement est sanctionné car il n’écoute pas ceux qui l’ont élu».
Benoît Hamon vient se mettre à ses côtés pour répondre à d’autres micros, d’autres caméras. Le ministre socialiste tente un début de blague en balançant aux journalistes «bon alors qu’est-ce qu’on fait?» dans un sourire. Il se reprend immédiatement pour répondre avec gravité à la première question sur la poussée du Front national.
Les politiques ne se regardent pas, ils font leurs déclarations en parallèle et s’en vont dans des chemins opposés lorsque les caméras s’éteignent.
Henri Guaino se présente face aux objectifs. Il porte le visage de celui qui n’est pas étonné. Il «refuse le front républicain, il ne faut pas mépriser les électeurs du FN. C’est un parti légal, qui a le droit d’avoir des élus... c’est la démocratie». Le député UMP termine sa phrase dans un moment de silence général.
Le front républicain n’a jamais été une évidence, c’est maintenant acté. Brice Hortefeux a, un peu plus tôt, lancé dans un souffle de mauvaise humeur que «voter pour le FN, (c’était) aider le PS».
Marine Le Pen sort du plateau à son tour, son téléphone toujours collé à l’oreille. Elle s’arrête dans le couloir et s’expose une dernière fois aux questions. La présidente du FN demande aux abstentionniste de «venir voter pour le Front national pour que leur ras-le-bol serve a quelque chose». Marine Le Pen sourit une dernière fois à la caméra puis s’éclipse.
Dans le couloir, les techniciens continuent de commenter les images et les résultats qui apparaissent sur les écrans. L’un d’eux s'épanche: «Les politiques cherchent des excuses là... mais c’est que le début, ils vont comprendre la punition!»
Sur l’écran, les chiffres qui portent la marque du Front national prennent beaucoup de place.
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Sébastien Calvet