Les Parisiens ont découvert effarés que la pollution de l’air pouvait dans la capitale commencer à ressembler à celle de Pékin. Le pic de pollution inédit à Paris le week-end du 15 mars a fait irruption dans la campagne municipale à Paris, obligeant à réagir à une semaine du premier tour.
Anne Hidalgo comme Nathalie Kosciusko-Morizet s'accusent l'une l'autre d'être responsables de la «dieselisation», nouveau terme en vogue, de Paris. Les émissions de particules fines et d'oxydes d'azote des véhicules diesel étant responsables pour une large part de cette pollution urbaine.
Membre de l'équipe de campagne de la candidate PS, Julien Bargeton a attaqué NKM dans un communiqué, rappelant qu’«elle a appartenu à un gouvernement qui a mis en place le dispositif de bonus-malus en 2007, un dispositif qui a fortement encouragé l'achat de véhicules diesel, qui ont représenté jusqu'à 77% des nouvelles immatriculations en 2008». NKM a pour sa part accusé la majorité actuelle à Paris d'avoir favorisé le diesel dans les transports municipaux.
Les deux candidates ont prôné une baisse du diesel et notamment de l'accès des poids lourds à Paris –Hidalgo promettant 0% de diesel en 2020. Ce sont des prises de positions courageuses, mais qui ne coûtent pas bien cher.
Derrière la lutte sanitaire bienvenue contre le diesel, il y a dans ce mouvement de rejet quelque chose comme, osons l'expression, un rapport de classe entre des urbains qui bénéficient d'une offre de transports en commun performante et des banlieusards et périurbains dont la dépendance à l'automobile reste importante dans la vie quotidienne. Plutôt qu'un rapport de classe, voyons-y une opposition entre modes de vie, puisque le diesel est majoritaire à la fois dans les zones lointaines dont le revenu médian est plus faible qu'en l'Ile-de-France, au nord et à l'est, mais aussi dans les départements riches de l'ouest (voir l'étude détaillée ci-dessous).
Se repose la question des espaces et dimensions parallèles dans lesquelles vivent les Français: environnements de plus en plus post-industriels et sensibles à la qualité de vie et territoires loin d'avoir remis en cause le quotidien motorisé, souvent en raison de contraintes extérieures. S'y mêlent choix de vie dans certains cas, éloignement contraint dans d'autres.
A Paris, le parc des véhicules diesel a progressé, représentant 63% des kilomètres parcourus en 2012 alors qu'il ne pesait que 41% en 2002, notamment en raison de l’augmentation des véhicules de livraison. Le trafic sur le boulevard périphérique de Paris, «qui reste l’axe le plus emprunté, a baissé sur la période, (9%), en revanche la fréquentation est en progression sur l’A86 et la Francilienne», rappelle l'Institut d'aménagement et d'urbanisme (IAU) d'Ile-de-France.
On voit par ailleurs sur le graphique ci-dessous issu d'une étude de l'IAU la part assez minime que représentent les Parisiens intramuros par rapport aux habitants de banlieue et, plus encore, de grande couronne dans l'ensemble des déplacements franciliens. Des déplacements en hausse ces trente dernières années pour cette dernière catégorie, la plus excentrée, loin des discours sur la fin de l'automobile.
Tous les graphs sont issus de l'étude «La circulation routière en Ile-de-France en 2010». IAU
Ci-dessous, on remarque que, si sans surprise les rocades qui contournent Paris sont empruntées majoritairement par les habitants plus éloignés du centre de l'agglomération (80% des déplacements franciliens sont interdépartementaux et non plus pendulaires Paris-périphérie, détaille l'étude), le boulevard périphérique parisien est lui aussi très largement fréquenté par les banlieusards proches ou lointains.
Les Parisiens sont loin d'avoir tous renoncé à la voiture, puisqu'ils comptent encore pour 48% des conducteurs qui entrent, sortent ou conduisent dans la capitale. Mais les habitants alentours y sont là encore légèrement en majorité: c'est ce que montre le tableau suivant. Autrement dit, Paris est un espace routier partagé entre la ville et son agglomération, et les habitants de cette dernière sont loin d'y être minoritaires.
Département de résidence des conducteurs des déplacements VP entrant et sortant à Paris, 2010 - IAU
Et on comprend peut-être mieux que le diesel soit pointé du doigt sans retenue dans la campagne parisienne, non pas du point de vue écologique, ce qui est légitime, mais politique, ce qui est plus délicat, si on regarde le prochain tableau...
Car si 60% du parc de véhicules français roule au diesel (les ventes de voitures neuves seraient à 70% des diesel), et une très courte majorité en Ile-de-France (51%), le diesel constitue seulement 41% du parc à Paris... Ce niveau a doublé en dix ans, de 2000 à 2009 (tableau ci-dessous) mais il reste bien inférieur aux départements qui l'entourent.
Mais le diesel, plus cher à l'achat et à l'entretien, est aussi l'option privilégiée par les conducteurs qui font le plus de distances pour des raisons d'économie de consommation de carburant, subventionné par une fiscalité avantageuse. C'est pourquoi le sujet reste un peu tabou en France, où le parc s'est «dieselisé» ces dernières années.
Par ailleurs, comme l'écrivait l'Humanité en 2013, «les ménages les plus modestes, environ six millions de personnes, sont [...] les propriétaires des véhicules diesel les plus anciens» –et les plus polluants. Le diesel représente aussi la grande majorité des véhicules professionnels, pour les mêmes raisons.
Il y aurait de quoi relancer le débat sur les territoires éloignés des métropoles sans nécessairement se prêter à la glorification du tout-voiture –ni donner l'impression de transformer les populations piégées par ce système en coupables.
J.-L.C.