Les Nancéiens seraient-ils séduits par le pouvoir socialiste alors que les Messins ne supporteraient plus le gouvernement Ayrault? La thèse, éclairant d’un jour nouveau la rivalité entre les deux cités de l’Est, est pour le moins audacieuse, même si Nancy peut basculer à gauche en mars prochain tandis que Metz est susceptible de revenir dans le giron de la droite.
Les changements de couleur politique des grandes municipalités qui se profilent dépendent avant tout des configurations locales. Le contexte national est assurément très défavorable à une gauche gouvernante qui désespère ses partisans sans convaincre ses adversaires.
Mais ce sont surtout les fragilités réelles de certaines équipes sortantes qui risquent de précipiter les alternances municipales. C’est bien une subtile articulation entre «vote sanction» national et «vote sanction» local qui rendra le mieux compte du verdict des électeurs les 23 et 30 mars.
Fragilité d’un premier mandat
La théorie du «cycle municipal» mise en évidence par le politologue Pierre Martin établit qu’un maire sortant a les meilleures chances d’être élu au terme de son premier mandat. Celui-ci lui procure une notoriété précieuse et il n’est pas encore atteint par l’usure du pouvoir. La conquête d’un troisième mandat serait, à l’inverse, une étape nettement plus délicate.
Un examen distancié des enquêtes préélectorales montre pourtant que les prochaines municipales devraient voir nombre de villes gagnées par la gauche en 2008 changer de couleur politique. Il s’agit souvent de cités de tradition conservatrice, parfois conquises par la grâce de la division du camp adverse, et où le nouvel élu n’a pas su s’imposer.
Angoulême avait été conquise par le PS en 2008 après une vingtaine d’années de règne de la droite. Une enquête Ifop montre un rapport de force très incertain pour le maire sortant Philippe Lavaud.
Ville historiquement ancrée à droite, Caen était également devenue socialiste il y a six ans. Les sondages laissent présager une réélection difficile pour Philippe Duron. Le bilan du maire PS mécontente 50% de ses électeurs, selon Ipsos, ce qui est beaucoup.
Bilans mitigés
A Reims, une autre grande ville qui avait basculé à gauche en 2008, c’est également le bilan mitigé de l’équipe sortante qui est annonciateur d’une possible alternance. D’après une enquête CSA, 52% des Rémois souhaiteraient «changer en profondeur l’action municipale». Il y a six ans, Adeline Hazan l’avait emporté dans ce bastion conservateur pour une bonne part grâce à une division de la droite qui n’est plus de mise aujourd’hui.
L’issue du scrutin est encore indécise à Saint-Etienne, une ville là encore administrée par la gauche depuis seulement six ans et gagnée grâce à une «triangulaire» de second tour. Le bilan du maire socialiste sortant Maurice Vincent fait l’objet d’une appréciation assez critique des électeurs: seulement 53% des Stéphanois s’en disent «satisfaits», selon Ipsos.
A Strasbourg, qui fait aussi partie du cru gauche 2008, la dynamique de campagne, mesurée par plusieurs enquêtes, semble favorable à Fabienne Keller (UMP), même si l’issue du scrutin reste très incertaine pour le maire sortant (PS) Roland Ries. A Toulouse, métropole de sensibilité de gauche longtemps administrée par la droite, Pierre Cohen (PS), qui avait battu d’un cheveu Jean-Luc Moudenc (UMP) en 2008, s’expose à la revanche de son adversaire, dont le camp est plus uni que le sien.
L’usure du pouvoir
Dans le sens inverse des trajectoires politiques, on trouve deux grosses villes où la droite risque d’être victime de l’usure du pouvoir. A Nancy, elle est fragilisée par le retrait d’André Rossinot, maire de la ville depuis 1983. Les sondages donnent une très légère avance au candidat de la gauche, Mathieu Klein, sur celui de la droite, Laurent Hénart, dans cette cité de tradition conservatrice mais qui avait nettement choisi François Hollande en 2012.
A Marseille, Jean-Claude Gaudin tente le diable en briguant un quatrième mandat. Son bilan est très contesté. Selon CSA, pas moins de 68% des Marseillais estiment qu’il «faut changer en profondeur l’action municipale». L’issue de la compétition n’en reste pas moins disputée dés lors que l’image des socialistes dans la cité phocéenne n’est pas fameuse malgré les capacités de rassemblement manifestées par le socialiste Patrick Mennucci.
La gauche n’est pas non plus à l’abri d’alternances municipales au terme de longs règnes. Dans des contextes différents, c’est notamment possible dans deux villes conquises par ce camp en 1977, à Angers et à Belfort.
L’appoint du vote national
La prise en considération des équations locales ne doit pas faire oublier que la tendance nationale jouera un rôle majeur dans le bilan final des batailles municipales. Même si le «vote sanction» global n’est, comme l’indiquent les enquêtes d’opinion, que le fait d’une minorité d’électeurs, il suffira parfois à inverser le résultat. Il ne faudra pas plus de 30% de votants remontés contre le pouvoir de gauche pour faire basculer la majorité dans nombre de communes.
Le phénomène pourrait être plus accentué dans les municipalités de taille moyenne, tout particulièrement dans celles qui sont situées à la périphérie des agglomérations, et où la notoriété du maire est parfois moindre. Le vote sur étiquette devrait alors prendre toute son importance, l’impopularité du pouvoir rejaillissant sur ses amis locaux.
On ne peut exclure non plus que les sondages pré-électoraux, parfois réalisés très tôt dans la campagne, surestiment le niveau de la gauche. Le fameux «vote sanction» tend habituellement à se renforcer dans la dernière phase de la compétition électorale. A Marseille, par exemple, les enquêtes récentes semblent plus favorables à la droite. Sans oublier les effets du délétère climat politique actuel, qui devrait avant tout profiter au Front national.
Éric Dupin