Marseille, c'est formidable! Il fait beau 730 jours par an (jusqu'à 732 les années bissextiles), il y a la mer et la campagne intra-muros, de vastes appartements haussmanniens au prix d'une studette parisienne, d'excellents restaurants de poisson, du shit bon marché à tous les coins de rue, mais qu'est-ce que c'est sale!
Il y a des poubelles qui débordent, des papiers gras et des cartons de pizzas qui jonchent les trottoirs et, surtout, c'est ce qui frappe le plus parce c'est un phénomène qui tend tout de même à régresser dans le reste du pays, des crottes de chiens absolument partout. Tiens, il y a même un quartier qui s'appelle les Crottes, mais je ne suis pas allé vérifier si on l'avait baptisé comme ça par dérision. J'irai jeter un coup d’œil à l'occasion.
Il y a plusieurs raisons à cet état de grande saleté urbaine. D'abord, et ça c'est la faute à pas de chance, il y a le mistral, qui est un vent particulièrement violent (il peut souffler jusqu'à 100 km/h lorsqu'il est en forme) et transforme les petites rues étroites du centre ville en toboggan d'Aquaboulevard pour les ordures baladeuses.
Ensuite, il faut bien se l'avouer, il y a les Marseillais, qui ne sont pas exactement les personnes les plus civiques de la planète et ignorent systématiquement les poubelles dans les rues. L'autre matin, en remontant le boulevard Chave, plaisante artère provençale bordée de micocouliers où trône le buste rigolard de Fernandel, je vois un type qui balance un gros bout de je ne sais pas quoi par terre juste à côté d'une poubelle et, parce que je me permets une réflexion courtoise (avé l'assent, pour ne pas passer pour un Parigot arrogant), il me suggère d'aller me faire voir ailleurs et me souhaite même d'attraper un cancer –une expression d'agacement suffisamment originale pour qu'elle vaille d'être signalée.
On n'en vient toutefois pas aux mains parce que je suis plus grand que lui, mais je me rends compte qu'il vaut mieux que je me fasse une raison parce que je ne vais tout de même pas me laisser prédire un développement anarchique de mes cellules à chaque fois que je vois un type balancer une saloperie par terre.
Pour les déjections canines, les ramasser avec un sac en plastique reste un concept totalement iconoclaste. En gros, c'est Paris pré-Delanoë, lorsque Chirac considérait qu'il valait mieux dépenser quelques millions de brouzoufs chaque année dans des motos équipés d'aspirateurs à étrons que de se mettre à dos les électeurs amis des bêtes.
Le «fini-parti» des éboueurs
Du coup, ce que l'on remarque en plus du caca, ce sont les décrottoirs en métal que possèdent la majorité des entrées d'immeubles. Oh, ils n'ont pas été inventés spécifiquement pour Marseille, ces pittoresques équipements urbains, mais on ne les voit plus guère ailleurs (sauf à Bruxelles, paraît-il, où l'on organise des expos pour leur rendre hommage).
A l'occasion, on voit bien un propriétaire de chien faire le ménage, mais il le fait en catimini, presque honteusement, après s'être bien assuré que personne ne le regardait parce que, merde, ramasser une crotte dans la rue, c'est un peu dégueulasse tout de même...
Mais la vraie grande cause de saleté dans la «cité phocéenne», comme on dit parce que ça fait bien même si l'expression est désormais un poil usée, c'est le célèbre «fini-parti» des éboueurs. Cette histoire-là, cette galéjade inventée par Gaston Defferre, c'est un peu comme le débat sur les taxis parisiens: il y a un problème parfaitement identifié depuis des lustres; tout le monde est plus ou moins d'accord sur la manière de le résoudre; rien ne sera pourtant jamais fait parce que c'est trop compliqué...
L'idée générale, pour ceux d'entre vous qui n'auraient jamais entendu parler de cette amusante pratique, est que les agents chargés du ramassage des ordures ménagères ont la possibilité de gérer leurs tournées à la vitesse qui leur convient (de deux à trois heures semblent d'ailleurs la durée standard).
Ainsi, il est rare de rester coincé à fulminer dans sa bagnole parce qu'un camion-poubelle met trop longtemps à remonter la rue Paradis. Enfin, disons qu'il est très fréquent de rester coincé à fulminer dans sa bagnole en remontant la rue Paradis, mais c'est généralement parce qu'un type s'est garé en triple-file le temps d'acheter sa baguette dans cette ville où l'on n'accepte de parcourir 100 mètres à pieds que pour aller jusqu'à sa voiture et rouler encore 100 mètres jusqu'à la boulangerie…
Le hic, c'est que lorsque vous videz les conteneurs à ordures à toute berzingue, il y a, c'est logique, toujours un peu de déchet. Il arrive ainsi qu'on oublie une poubelle ici ou là ou que l'on loupe la benne parce qu'on a visé un peu à côté, mais c'est le prix à payer pour finir suffisamment tôt pour aller repeindre un appartement au black histoire d'améliorer son ordinaire...
Immanquablement, la question des horaires de travail des éboueurs refait surface au moment des élections municipales, les différents candidats promettant de transformer Marseille en Lausanne si les électeurs leur accordent leur confiance. Jean-Claude Gaudin, premier magistrat de la cité depuis 1995, qui brigue un quatrième mandat en se proclamant avec humour le candidat «de la force du changement», se contente de mettre toute cette crasse sur le dos du président socialiste de Marseille Provence Métropole, Eugène Caselli, mais on le voit mal se mettre à dos les éboueurs Force ouvrière avec lesquels il cogère les affaires municipales. Il vient d'ailleurs d'être nommé membre d'honneur du syndicat.
Et Patrick Mennucci, son challenger socialiste, pourfendeur de ces aberrations clientélistes, a déjà dû mettre un peu d'eau dans son vin pour rester copain avec le même Caselli, qui en est l'un des champions –un paradoxe qui faisait bien marrer Samia Ghali à l'époque de la primaire.
Notez que même l'abolition du «fini-parti» ne réglerait pas les problèmes du civisme, des crottes de chiens et du mistral. Le mieux est donc de s'y habituer et, même, de se mettre à apprécier la saleté ambiante et de lui trouver du charme. Cest en tout cas le conseil fourni par Marcel Pagnol, dans sa correspondance:
«Je ne savais pas que j'aimais Marseille, ville de marchands, de courtiers et de transitaires. Le Vieux Port me paraissait sale et il l'était; quant au pittoresque des vieux quartiers, il ne m'avait guère touché jusque-là, et le charme des petites rues encombrées de détritus m'avait toujours échappé. Mais l'absence souvent nous révèle nos amours… C'est après quatre ans de vie parisienne que je fis cette découverte (…).»
Et en plus, à Marseille, il fait beau tout le temps, il y a la mer et les collines, du bon poisson et du shit bon marché.
Hugues Serraf