«Moi, maire d'Apt en 2014, je m'engage à créer une journée mondiale de l'impôt –nous l'appellerons la Saint-Taxe!» Mais aussi «à revoir les menus des cantines scolaires. Ainsi, nous aurions: le lundi, de la dorade exploratrice, le mardi, des écrevisses Presley, le mercredi, du homard matuer, le jeudi, de la noix de Saint-Jacques Itchane, et le vendredi, du turbot diesel.»
L’extrait d’un one-man-show, à deux semaines des élections municipales? Non, les engagements politiques d'un candidat (fictif) d'Apt, une commune du Vaucluse.
Engagement n°52 : Moi, Maire d'Apt en 2014, je m'engage : à nommer un médecin, chef des Armées. En effet, qui... http://t.co/yvKFzHDmiV
— Moi Maire d'Apt 2014 (@MMA_2014) 8 Mars 2014
Franky Baloney bataille lui contre Alain Juppé pour conquérir la mairie de Bordeaux (sauf dans les urnes: il n'aura pas de bulletin à son nom les 23 et 30 mars) et dévoile sur son site un programme tout aussi délirant. «Je ressens le même appel que Jeanne d’Arc a dû éprouver. J’espère que je ne finirai pas comme elle, bien que je sois un grand amateur de grillades», lance ce candidat pas comme les autres, qui souhaite, notamment, booster la vente de vin:
«Aujourd’hui, on a le bleu pour l’eau froide et le rouge pour l’eau chaude. Je promets aux Bordelais de leur installer le robinet du milieu pour le pinard.»
A Castanet-Tolosan, dans les environs de Toulouse, «Moi», candidat du Parti du quotidien (PQ), s'est aussi lancé dans la course. Il prône l'instauration d'un royaume indépendant, avec, à sa tête, un «dirigeant éclairé», écrit-il sur son site. «Moi», qui se rapprochera de son «allié naturel», la Corée du Nord, nommera les «ministres plantes vertes» de la Bonne nourriture, de l’Apéro et des Vignes. Elu (ça sera difficile: lui non plus n'a pas fait enregistrer de liste), il adoptera un principe simple de finances publiques:
«Tout ce qui est à vous est à moi!»
Enfin, l'Église de la très sainte consommation présente, elle, une vraie liste à Lille pour tourner en ridicule la société de consommation. Sous l'intitulé «Pour un autre Lille, en mieux, sans vous: résignez-vous!», son candidat, Alessandro Di Giuseppe, propose par exemple «des cours à l'école de shopping et de repassage pour les filles, de tuning et de marketing pour les garçons». S'il est élu à la place de Martine Aubry, il détruira et reconstruira le stade de la ville «tous les cinq ans» pour favoriser l'emploi. Aux élections législatives de juin 2012, ce candidat classé à l'extrême gauche avait obtenu 1,3% des voix, plus que le NPA ou LO.
Farceurs de Montmartre
Les humoristes squattent le terrain politique, et cela ne date pas de Coluche. «Les candidatures loufoques, relève Bruno Fuligni, auteur de Votez fou! Candidats bizarres, utopistes, chimériques, mystiques, marginaux, farceurs et farfelus (Horay, 2007), ont toujours existé depuis l'instauration du suffrage universel, en 1848.»
Le premier plaisantin qui sauta le pas lors d'élections municipales, en 1884, se nommait Rodolphe Salis, propriétaire du célèbre cabaret parisien Le Chat Noir. Ce «candidat des revendications littéraires, artistiques et sociales» prônait la séparation de Montmartre (ex-commune annexée, 24 ans plus tôt, par Paris) et de l'Etat, ainsi que la révision de la Constitution… tous les trois mois.
Montmartre, lieu fétiche pour les farceurs? Quelques années plus tard, en 1920, le dessinateur Jules Depaquit, qui s'exprimait notamment dans le Canard enchaîné, remporta un scrutin municipal fantaisiste dans ce quartier parisien, organisé par la République de Montmartre, un mouvement d'artistes réactionnaires. «Antigrattecieliste», il proposait la construction de maisons sur mesure. Cet amuseur prônait aussi la suppression des mois d'hiver et refusait que les habitants de la Butte meurent sur son territoire.
«Hihi! Aguigui à gogo, mais pas gaga, Aguigui Mouna, Aguigui Mouna…» André Dupont, de son vrai nom, arpenta, des années 50 à 90, les rues parisiennes à vélo, en scandant ses slogans burlesques. Et, plusieurs fois, ce libertaire anarcho-écologiste, jamais rasé, se présenta aux élections municipales dans le cinquième arrondissement parisien.
Un chien candidat
Ce genre de candidats loufoques, on en trouve partout en France. Comme à Bordeaux, en 1983, où un aristocrate-libertaire… posait nu sur son affiche de campagne.
A Marseille, en 2001, l'auteur de polars Serge Scotto a présenté son chien Saucisse pour «rire», ainsi que pour rassembler des «citoyens de tout poil». Son slogan, «Pour une sauciété plus humaine, contre une vie de chien», avait fonctionné: sa liste avait obtenu près de 4% des suffrages exprimés.
Il s'agit, parfois, de personnes originaires de la commune en question, qui veulent faire rire leur «public». Par exemple, derrière Franky Baloney à Bordeaux se cache Frédéric Felder, membre du collectif des «Requins marteaux», auteurs de bandes dessinées humoristiques installés, depuis 2011, dans la capitale du vin.
«Moi, maire d'Apt», dans le Vaucluse, n'a jamais vraiment eu l'intention de se présenter en mars. Non, cet Aptois, qui préfère taire son nom, «amuse», sur les réseaux sociaux, ses «électeurs» à coups de jeux de mots «improbables» et de «promesses intenables, farfelues», avance-t-il. Les allusions aux lieux de sa commune sont récurrentes mais c'est «la langue de bois politique» en général qu'il pointe du doigt depuis l'anaphore du candidat Hollande, «Moi, président, je…», en 2012.
Si le gouvernement en prend aussi un peu pour son grade du côté de Castanet-Tolosan, «Moi» se moque plutôt des élus locaux. La commune reste «le cadre idéal pour faire de l'humour, car elle fédère les habitants», explique le représentant du PQ.
En réalité… comédien et membre d'un collectif d'artistes, basé dans cette bourgade du Sud, Nicolas, l'interprète de «Moi», a mis un terme à l'aventure électorale le 10 mars, au début de la campagne officielle. Et ce, afin de se concentrer sur son festival de théâtre, dont la prochaine édition débute au lendemain du second tour des municipales, qui s'annonce serré. Pour passer d'un événement à l'autre, la troupe va organiser une «parade de la réconciliation», confie le «candidat». «La moitié du village, toute à sa joie d'avoir gagné, sera tenue de faire des bisous à l'autre moitié qui fait la gueule!»
Dérision et autopromotion
Un brin de dérision pour un peu d'autopromotion. «Un tour de piste dans la pré-campagne suffit pour ce genre de candidats délirants, avance Bruno Fuligni. Ils ne recherchent qu'un peu de presse, une tribune afin de se faire connaître.»
«S'il n'a aucune idée ni programme, le comique ne sert à rien», met en garde Pierre Douglas, ex-journaliste et comédien, membre du jury du prix «Press Club, humour et politique», selon lequel se servir d'une campagne électorale uniquement dans le but de se faire de la publicité est une démarche assez «malhonnête».
La commune peut, parfois, prendre la forme d'un laboratoire d'idées. Selon Bruno Fuligni, les candidats fantaisistes ont «souvent eu un temps d’avance sur les représentants des partis sérieux. Aguigui Mouna a ainsi prôné la "vélorution" [la promotion de l'utilisation des moyens de transports personnels non-polluants, ndlr] quarante ans avant le Vélib…»
Dans la cité du Nord, Alessandro Di Giuseppe dénonce en riant le «dogme absurde de la croissance». Ce Lillois, pour qui «Croissance = Inégalités = Destruction de la planète = Suicide collectif», trouve le scrutin de mars «idéal». D'abord car il est plus «accessible financièrement», pour un «petit» candidat, qu'une autre élection. Ensuite car son programme local (et loufoque) touche plus facilement les Lillois et revêt en même temps, dit-il, «un caractère national et universel».
«Solitaire mal organisé»
Mais reste encore à convaincre les électeurs. «Sans moyens, relève l'auteur de Votez fou!, une élection locale n’est pas plus simple qu’un scrutin national.» Surtout pour un «solitaire mal organisé».
Maurice Mercante en sait quelque chose. Candidat à la fonction suprême en 1981, il souhaite, s'il est élu, déménager dans le château de Versailles et développer le transport à cheval par calèches. Comme il ne peut se lancer, faute de parrainages, il vise les législatives à Paris en 1993 –en proposant, en outre, d'enseigner à la police le karaté. Deux ans plus tard, il part à la conquête de la mairie du Vésinet, une commune chic des Yvelines. Sans plus de succès…
A noter que, sur un malentendu, cela peut fonctionner. C’est ainsi qu’à Honfleur, en 2001, une liste fantaisiste qui se réclamait de l'humoriste Alphonse Allais («Y'a pas d'sous!»), a obtenu, à la surprise générale, un beau succès et des élus au Conseil municipal. Même si, au final, ceux-ci ont choisi de ne pas siéger. Rire en campagne et gouverner, deux mondes que tout oppose?
Philippe Lesaffre