France / Politique

Municipales: à Lyon, c'est balle au centre

Temps de lecture : 6 min

Si les mouvements d'extrême droite sont bien implantés dans la ville, où le FN tiendra congrès fin novembre, cela ne se traduit pas dans les urnes. Pour Collomb comme pour ses prédécesseurs, la capitale des Gaules se gagne au centre... mais pas par un candidat du centre.

Gérard Collomb lors de sa réélection comme maire de Lyon, le 21 mars 2008. REUTERS/Robert Pratta.
Gérard Collomb lors de sa réélection comme maire de Lyon, le 21 mars 2008. REUTERS/Robert Pratta.

Christophe Boudot est confiant. En campagne depuis décembre, le candidat FN aux prochaines municipales à Lyon assure sentir le vent tourner:

«Sur les marchés, on est bien accueillis. Les gens sont intéressés, prennent nos tracts...»

Le conseiller régional Rhône-Alpes était crédité de 11% dans le dernier sondage publié en septembre par le Mag2Lyon, score qui permettrait à son parti, contrairement à 2008, de se maintenir au second tour dans plusieurs arrondissements [1] face au maire sortant Gérard Collomb (PS), qui doit officialiser sa candidature ce mardi 21 janvier, et à l'UMP Michel Havard. Il espère même dépasser la barre des 15% le 23 mars.

De l'autre côté de l'échiquier politique, le conseiller régional Armand Creus, qui mène campagne pour le Front de gauche, «veut laisser le FN sous la barre des 10%» mais s'inquiète:

«Les manifs anti-mariage pour tous ont réveillé la droite réactionnaire.»

Terreau fertile

Le terreau lyonnais est en apparence fertile pour le FN, qui y tiendra d'ailleurs congrès les 29 et 30 novembre prochain. Lyon est une place forte des mouvances d'extrême-droite radicales. Les sièges de Génération identitaire et des Jeunesses nationalistes (dont Manuel Valls a annoncé la dissolution en juillet dernier) s'y trouvent.

L'organisation étudiante du GUD y est active. Et l'université de Lyon-III, dont un rapport estimait en 2004 «incontestable que les fondateurs ont plus que toléré l'expression des idées d'extrême droite au sein de l'université», fournit le bagage intellectuel.

Le GUD comme les Jeunesses nationalistes, menées par Alexandre Gabriac, participent cependant peu aux combats électoraux —Alexandre Gabriac, bien que conseiller régional, a l'habitude de surnommer la République «la gueuse». Les passerelles entre ces organisations et le FN sont plus à chercher du côté des Jeunes identitaires, la branche jeunesse du Bloc identitaire.

Forte de son local La Traboule, dans le Vieux Lyon, où Bruno Gollnisch a donné une conférence en septembre dernier, elle compterait environ 300 adhérents (chiffre sûrement gonflé) selon son porte-parole Damien Rieu. Et le slogan du FN, «Lyon, notre identité», sonne comme un appel du pied à son égard.

Christophe Boudot apprécie ses militants:

«Ce sont des jeunes bien formés. Il y a des idées communes, comme le respect de l'identité lyonnaise. Ils peuvent nous rejoindre.»

Avant d'ajouter tout de même:

«Je ne soutiens pas toutes leurs actions. L'invasion de la mosquée de Poitiers, par exemple, n'est pas ce que je ferai.»

Peu de doutes pour Collomb

Cette forte présence de l'extrême-droite radicale ne se traduit pourtant pas dans les urnes. A la dernière présidentielle, Marine Le Pen a plafonné sous les 10% à Lyon, contre 18% au niveau national. Candidat en 2001, Bruno Gollnisch avait frôlé les 7%, tandis que son «successeur» André Morin était resté scotché à un peu plus de 4% en 2008.

Pas de quoi, donc, inquiéter le maire sortant. Les sondages, même peu nombreux, laissent peu de doute, lui donnant une dizaine de points d'avance dans toutes les configurations: duel au second tour avec Michel Havard, triangulaire voire quadrangulaire avec le FN et EELV, représenté par l'avocat Etienne Tête.

Elu une première fois en 2001, tout comme Bertrand Delanoë à Paris, dans une ville réputée de droite et dans un contexte défavorable à la gauche, Gérard Collomb n'a eu de cesse de montrer un visage politique modéré à l'aile droite du PS. Il s'oppose au cumul des mandats, est réservé sur le mariage des homosexuels, qualifie la taxe à 75% de «connerie» (bien qu'il ait voté pour au Sénat) et assure ne pas comprendre que le terme «flexibilité» soit perçu «comme un gros mot à gauche».

Traumatisme de la Révolution

Ce paradoxe entre une extrême droite très implantée et une culture politique très centriste s'explique par ce que l'historien Bruno Benoît qualifie de «modérantisme» lyonnais dans son ouvrage L'identité politique de Lyon.

D'après ce professeur de l'IEP de Lyon, la capitale des Gaules a vécu un traumatisme durant la Révolution française, époque où la vie politique lyonnaise était marquée par deux hommes: d'un côté, le royaliste Jacques Imbert-Colomès, échevin de la ville, de l'autre, le montagnard Joseph Chalier, influencé par Marat. L'exécution de ce dernier, le 17 juillet 1793, après la chute de ses partisans à la tête de la municipalité, entraînera le siège de la ville par la Convention nationale et l'exécution de 2.000 personnes. La capitale des Gaules perdra son nom dans l'affaire, devenant «ville affranchie».

La conscience politique lyonnaise serait née de ces cendres. Ce sera «ni un camp, ni l'autre», résume Bruno Benoît, selon qui «l'aboutissement de cette "centralité" est l'arrivée au pouvoir d'Edouard Herriot». A la tête de la ville de 1905 à 1957, avec tout de même une ellipse durant la Seconde Guerre mondiale, l'élu radical-socialiste, trois fois président du Conseil, a marqué durablement sa culture politique.

Le centre plafonne

Et pourtant, autre paradoxe, Lyon n'est pas un bastion des formations politiques centristes. En 2007 comme en 2012, François Bayrou y a légèrement dépassé sa moyenne nationale, avec respectivement plus de 22% et près de 11%, mais ces scores ne se retrouvent pas à l'échelle locale: en 2008, le MoDem n'avait réalisé que 6% des voix aux municipales. Signe que les partis centristes ont du mal à se trouver, ils avancent d'ailleurs divisés à l'approche des municipales: une partie du MoDem soutient Gérard Collomb, tandis qu'un dissident du parti de François Bayrou, Eric Lafond, a lancé sa propre candidature, et que l'UDI part avec l'UMP.

«Lyon peut être gouvernée au centre mais pas par le centre, résume le sociologue Yves Grafmeyer. Au fil des mandats de chaque maire, il y a un déplacement vers le centre.» Successeur de Herriot à l'hôtel de ville, Louis Pradel (1957-1976) avait pris ses distances vis à vis de la politique nationale et partisane, lançant même en 1965 une liste dite «apolitique» nommée, sans fausse modestie, PRADEL (Pour la Réalisation Actives Des Espérances Lyonnaises). Quant à ses successeurs, Francisque Collomb (UDF, 1976-1989), Michel Noir (RPR, 1989-1995) et Raymond Barre (apparenté UDF, 1995-2001), ils ont toujours pris leurs distances avec leurs partis respectifs. Gérard Collomb n'a fait que déplacer le curseur du centre-droit au centre-gauche.

Ce «centrisme» fait tout de même débat. Le politologue Paul Bacot assure pour sa part que «si Lyon a, un temps, fait figure de place forte d'un certain "centrisme", cela n'est plus le cas aujourd'hui», et s'interroge:

«Qu'est-ce que le "vote centriste"? Celui pour des entreprises et des leaders politiques se revendiquant comme tels? Celui pour ceux qui refusent d'entrer dans une alliance de gauche ou de droite?»

La ville qui n'aime pas les crises

C'est pourquoi l'historien Bruno Benoît préfère parler de «centralité», assurant par ailleurs que Lyon «n'a pas vocation à être un foyer de la droite dure». Ce sont le contexte historique et les périodes de crises qui nourrissent les résurgences de ces mouvements, dont l'installation est favorisée par la position de la ville, à la croisée des grands axes de communication. A l'image de ses deux grandes figures actuelles, Damien Rieu et Alexandre Gabriac, ses militants ne sont en effet pas forcément lyonnais.

Le refus des extrêmes demeure. Lyon la commerçante «n'aime pas les crises politiques», selon les mots de Bruno Benoît: «Il y a une envie et un besoin de paix sociale avec un chef d'orchestre qui réconcilie.» Les Terreaux (l'hôtel de ville) gouverne en concertation avec deux autres fortes composantes de la ville, Fourvière (les catholiques) et le patronat.

La réputation de ville bourgeoise de Lyon, que Gérard Collomb veut doter d'une stature internationale afin d'attirer les investisseurs étrangers avec le projet de Lyon Métropole, n'est pas usurpée. «La commune de Lyon, centre de la communauté urbaine, est bien une ville bourgeoise», estime la sociologue Marie Vogel:

«Elle tend à concentrer les activités métropolitaines: l'enseignement, la recherche, les services aux entreprises, la culture, et les populations actives correspondantes —cadres, professions intellectuelles supérieures, professions intermédiaires. C'est plutôt à l'échelle de la communauté urbaine, du "grand Lyon", qu'il faut analyser les lignes de fractures entre les groupes sociaux.»

«Doudou», «Zizi» et «Gégé»

Dans l'ouvrage collectif Sociologie de Lyon, Yves Grafmeyer et Marie Vogel pointent que Gérard Collomb a bénéficié de l'essor de nouvelles couches sociales. «Depuis les années 90 et encore aujourd'hui, de nouvelles personnes qualifiées, diplômées, venant des milieux des nouvelles technologies, du spectacle, de l'information, ouvertes aux thèmes de gauche, se sont développées à Lyon», explique le premier nommé.

Bref, Lyon s'est, comme d'autres métropoles, et même si ce terme fourre-tout n'est pas apprécié des sociologues, «boboïsée». Une catégorie qui se distingue par son refus du vote extrémiste, ce qui avait d'ailleurs contribué en partie à la première élection de Gérard Collomb en 2001: le RPR Michel Dubernard avait dû remplacer au pied levé au second tour l'UDF Michel Mercier, qui n'acceptait pas la fusion de ses listes avec celles de Charles Millon, qui avait accepté les voix du FN pour être élu à la tête du conseil régional en 1998.

Sept ans plus tard, le maire sortant était réélu dès le premier tour, recueillant les fruits d'une popularité qui, remarque Bruno Benoît, lui vaut le rare privilège de se voir attribuer un surnom tout en finesse par les Lyonnais: après «Doudou» pour Edouard Herriot, puis «Zizi» pour Louis Pradel, c'est «Gégé» qui devrait être réélu fin mars pour un troisième mandat.

Jean-Baptiste Mouttet

[1] Comme à Paris et à Marseille, les élections municipales se déroulent à Lyon dans le cadre des arrondissements. En 2001, la gauche avait ainsi réussi à l'emporter en recueillant seulement un peu plus de 48,5% des suffrages sur l'ensemble de la ville au second tour. Revenir à l'article

Article actualisé le 21 janvier 2014 à 11h50: une première version parlait par erreur de la mosquée de Montpellier, alors qu'il s'agissait de celle de Poitiers.

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