«Le 1er janvier 1914 aussi, on s’est souhaité une bonne année», écrivait récemment dans Libération le philosophe Frédéric Worms, dans une chronique consacrée à «L’an 2014, année de la rétroprojection». C'est ce qu'explique également le quotidien champenois L'Union, qui écrit que «le 1er janvier 1914, dans les rues de Reims, les habitants échangent leurs vœux sans se douter du cataclysme qui les attend».
Ce sentiment, on peut aussi essayer de l'analyser à travers la presse de l'époque, disponible sur le site Gallica de la BNF (avec certains manques ou défauts: l'éditorial signé dans L'Humanité par Jean Jaurès le 1er janvier 1914, intitulé «La guerre des confiseurs», est hélas quasiment illisible).
Après une année marquée par les guerres balkaniques et le vote de la loi des trois ans sur le service militaire, la presse fait preuve, dans son ensemble, d'un espoir prudent de paix, que résume ce cri du coeur de L'Intransigeant:
«Ah oui, la paix! Demandons-la à l'année nouvelle. Que 1914 l'apporte, dans son rigide manteau de glace, aux hommes de bonne volonté, que la France, particulièrement, ne soit point oubliée dans la réalisation d'un vœu si chèrement payé.»
Il y a les raisonnablements optimistes. C'est le cas de L'Aurore, l'ancien quotidien de Clémenceau, qui ne verra pas pas la fin de l'année puisqu'il disparaîtra avec la guerre:
«Fort heureusement, ces terreurs [les guerres balkaniques, ndlr] se sont apaisées. Certes, toutes les craintes ne sont pas encore complètement annihilées. […] Mais il faut espérer que le bon sens des gouvernements saura dominer les velléités de conquête qui germent encore dans certains cerveaux belliqueux.»
Ou encore du quotidien républicain catholique L'Ouest-Eclair, ancêtre de Ouest-France:
«C'est cependant une garantie appréciable du maintien de la paix que le désir qui semble animer les puissances de ne faire la guerre qu'à la toute dernière extrémité et sous la pression d'une nécessité absolue. […] Malgré les nuages qui obscurcissent encore l'horizon français et européen, nous pouvons saluer avec confiance l'aube de l'an nouveau.»
Du côté du Figaro, en revanche, on est plus prudent:
«Ont-elles [les guerres balkaniques, ndlr] dit leur dernier mot? La paix n'a-t-elle pas laissé derrière elle des germes de discorde qui permettent à l'observateur de la juger mal assise et boiteuse, une simple trêve, précaire? Ne reste-t-il plus dans l'atmosphère aucun microbe pathogène qui menace la santé universelle?»
Il y a, enfin, les apocalyptiques, qu'on trouve surtout du côté de la presse de droite ou ultra-catholique. L'Echo de Paris, par exemple:
«A mesure que les temps s'écoulent, nous creusons plus profondément le trou sinistre où s'engloutissent ensemble l'honneur et la vertu de la France. [...] L'Allemagne et l'Italie, toutes deux âprement dressées contre notre patrimoine, s'apprêtent à l'envi à s'en partager les morceaux. Et toutes deux méritent sans doute cette fortune, parce qu'elles ont l'une et l'autre un gouvernement, avec les principes et les vertus d'un gouvernement.»
Ou encore de La Croix, à la ligne éditoriale bien différente de celle qui est la sienne aujourd'hui:
«A l'heure où l'année 1913 s'abîme dans le passé et où 1914 arrive portée par le flux du temps, nous crions vers vous, Seigneur, […] notre merci, nos angoisses et nos espérances. […] La France ne veut pas mourir. Elle sait que vous l'aimez, mais ses fils sont divisés. […] Eclairez nos gouvernants, gardez-nous de la guerre au dedans et au dehors.»
On sait évidemment que cela ne sera pas le cas. C'est d'ailleurs la conclusion, glaçante, de l'article publié cent ans après par L'Union:
«Du conflit qui va éclater cet été, personne ne cause. "Beaucoup de bonheur pour vous et vos trois grands garçons!" Les trois seront morts l’année suivante.»