Allez, avouez. Les primaires PS à Aix-en-Provence, Boulogne-Billancourt ou au Havre pour désigner le candidat du parti aux municipales 2014, ça vous passionne? Mais non, ce que vous voulez lire, c’est un article sur la primaire à Marseille, seule ville où il risque d’y avoir du sport.
Nous avons retenu pour ce comparatif les quatre plus gros candidats en lice pour le scrutin des 13 et 20 octobre, qui ont en commun d’avoir tous un nom qui se termine par «i». Un choix éditorial comme un autre.
Eugène Caselli, mal parti?
Parce qu’il est mon quasi-homonyme, il a d’emblée un certain capital sympathie… Reste qu’Eugène Caselli, président de la communauté urbaine Marseille Provence Métropole (MPM), est mal en point dans cette compétition depuis le départ.
Eugène Caselli, en octobre 2008. REUTERS/Jean-Paul Pélissier.
Sa notoriété est récente: en 2008, il est élu président de MPM avec des voix de la droite alors que Renaud Muselier, ancien premier adjoint de Jean-Claude Gaudin, devait mathématiquement l’emporter.
Dès le début, Caselli a eu du mal à exister dans la primaire. Il en a contesté l’organisation en juillet, signe d’un manque de confiance dans ses chances de l’emporter.
Son coup de gueule médiatique pour exister a consisté à demander publiquement en plein été à Manuel Valls qu’il place toute la ville en zone de sécurité prioritaire. Il a alors été lâché par tous ses concurrents au PS.
Depuis, il a proposé dans La Provence et lors du débat entre les candidats sur France 3 d’utiliser des drones de surveillance dans la ville. Un créneau que partage aussi Christophe Masse, le plus vallsien des six candidats.
Des rumeurs marseillaises lui prêtent l’intention de jeter l’éponge pour rallier Marie-Arlette Carlotti. Le 21 septembre, le site 13 A l’Actu a même annoncé, un peu vite, la démission de son directeur de campagne, emails internes de son équipe à l'appui.
Le 2 octobre, c’était au tour du Canard Enchaîné d’instiller le doute: Ayrault aurait reçu Caselli avec à la clé un poste de sénateur s’il se retirait de la primaire en faveur de Carlotti… «Ridicule», a répondu l’intéressé dans La Provence. Le même Canard écrivait ensuite que Caselli aurait le soutien de Gaudin, qui téléguiderait Force ouvrière pour pousser ses adhérents à voter:
«[Les dirigeants locaux du syndicat FO] jurent à Caselli qu’ils vont voter et faire voter pour lui, et que, malgré des sondages calamiteux, il a de grandes chances d’être présent au second tour de la primaire.»
Mouais…
Ayant grandi politiquement, comme beaucoup, dans l’ombre de Jean-Noël Guérini, mis en examen pour association de malfaiteurs mais toujours président du conseil général des Bouches-du-Rhône, il s’est depuis opposé à plusieurs reprises à ce dernier. Comme quand il est entré en résistance après la décision de Guérini de remettre en cause la participation financière de son institution aux projets urbains de la métropole, ou quand il a décidé de renvoyer Franck Dumontel, son directeur de cabinet à la métropole, après avoir appris le contenu d'une conversation téléphonique entre le PDG d'EDF Henri Proglio et Alexandre Guérini à son propos: «Franck est le vrai patron de la communauté urbaine, et notre ami intime», lâchait le frère Guérini.
«Franck» est aussi le mari de Samia Ghali (voir plus bas). Et Caselli ressortait, lui aussi, d’une garde à vue dans le même dossier de marchés publics de MPM, un volet de la très vaste affaire dite Guérini(s).
Dans son livre, Patrick Mennucci (voir plus bas) le charge en l’accusant de ne pas avoir suffisamment assis son autorité à MPM face aux influences souterraines du syndicat FO et d’Alexandre Guérini, notamment sur le dossier, central à Marseille, de la propreté. Caselli est pourtant dans sa communication aussi soucieux que son rival de prendre ses distances avec Jean-Noël: «Nos relations sont quasiment glaciales», a-t-il fièrement rappelé sur France Bleu.
Patrick Mennucci, le politologue déguisé en bateleur
Ne vous fiez pas, ou plus trop, à l’image qui lui colle à la peau. Celle d’un Gaudin de gauche. Certes, il y a de ça chez lui: carrure, accent, faconde. Mais bien loin de la caricature du «Ségolin», surnom qu’il a hérité de son rôle de directeur de campagne de Ségolène Royal en 2007, et qui lui colle encore à la peau, Patrick Mennucci voit sa cote monter et profite même d’un étrange regain de hype, sur le terrain comme dans les médias ou les milieux de la culture, où les soutiens pleuvent.
Patrick Mennucci, en janvier 2013. Revelli-Beaumont via Wikimedia Commons.
Stratège électoral, Mennucci a une idée assez précise du cadre dans lequel le combat va se mener, comme il nous l’a expliqué:
«Il y a 200.000 électeurs de gauche à Marseille, si on en a 20.000 [qui se déplacent à la primaire] c’est bien. Ceux qui vont y aller, c’est la fraction la plus consciente de l’électorat.»
Car il y a «des électeurs qui ne comprennent pas quand on leur demande: “est-ce que vous connaissez quelqu’un chez FO?”».
Mennucci se dit donc la chose suivante: plus je tape sur FO, le syndicat des territoriaux qui «cogère» la ville avec la mairie, sur Gaudin, sur le clientélisme, plus j’ai de chances de séduire cette fraction de l’électorat qui en a marre. L’analyse de l’électorat qui avait voté à la primaire pour la présidentielle en 2011, de profil peu populaire, pourrait lui donner raison. Son livre, Nous, les Marseillais, charge ainsi le système de cogestion de la mairie avec le syndicat, le clientélisme atavique de la classe politique locale, etc.
Pour la primaire, il déploie un marketing électoral très précis, relançant par SMS les électeurs qui l’ont parrainé, et multiplie les meeting thématiques en faisant descendre les Parisiens qui le soutiennent.
Mais ne vous fiez pas non plus qu’au discours réformiste. Mennucci vient, tout comme ses rivaux du PS, d’un système que personne dans la primaire ne peut nier avoir contribué à entretenir. Le rôle de nouveau Monsieur Propre de Marseille qu’il endosse ne convainc pas tout à fait certains observateurs de la politique marseillaise, comme celui qui nous a lâché cette analyse lapidaire:
«Il y a dans cette élection des candidats qui disent vouloir rompre avec le système, d’autres qui veulent le préserver, et un qui veut même en créer un nouveau.»
Devinez qui est qui.
Une belle métaphore ménagère, qui résume bien l’enjeu, a opposé Mennucci à Guérini dans les colonnes de La Provence. Le 7 septembre, le premier apprend que le second assistera à une réunion organisée par Manuel Valls sur la sécurité. Il dénonce immédiatement cette présence dans la presse, affirmant de manière imagée:
«Comme disait ma grand-mère, quand on veut nettoyer un escalier, on commence par le haut.»
Quelques jours plus tard, Guérini, dans une interview riche de sous-entendus, donne sa propre conception du nettoyage des escaliers par les aïeux des élus marseillais:
«Si sa grand-mère nettoyait les escaliers en commençant par le haut, lui risque de tomber de haut. A force de vouloir grimper les marches quatre à quatre, il va finir par en rater une. Et qu'il n'oublie pas une chose: celui qui marche sur les pas d'un autre ne laisse pas de traces.»
Samia Ghali, com' et proximité
Pour Le Monde, c’est carrément «la Ségolène Royal marseillaise». Quelle que soit la comparaison, une chose est certaine: depuis sa sortie de l’été 2012 sur l’armée qui doit descendre dans les cités, acte politique fondateur de son existence au niveau national, la sénatrice des Bouches-du-Rhône intéresse.
Samia Ghali. Rach2mars via Wikimedia Commons.
Un sondage du JDD l’a placée juste derrière Carlotti, en deuxième position. Les médias l’adorent.
Apparemment, les Marseillais ne sont pas non plus insensibles. «Ma page Facebook atteint ses 8.000 abonnées, un record», a-t-elle écrit sur son site de campagne. Mennucci, lui, annonce 8.000 parrainages citoyens. Match nul, même si les parrains sont plus mobilisables pour une primaire que les «likeurs».
C’est toute la limite d’une bonne stratégie de com', car Samia Ghali partage avec Mennucci un talent pour faire parler d’elle et une grande aisance sur les plateaux –on l’a d’ailleurs vue à l’œuvre au Grand Journal à la rentrée.
La stratégie orientée média lui vaut un néologisme trouvé par un observateur, la «samia-ghalinade»:
«C’est une proposition forte qui n’a aucune réalité concrète, mais ça fait une dépêche d’agence ensuite reprise dans les médias.»
Samia Ghali a pourtant un programme détaillé et sur le fond comparable à ceux de ses challengers dans la volonté affirmée d’en finir avec le système. On peut notamment y lire que «Marseille doit sortir enfin des compromis qui l’étouffent, des arrangements et des passe-droits qui la rongent, de l’immobilisme et de l’inertie qui la paralysent».
Cette visibilité se double d’une campagne de terrain intensive puisque la candidate mise sur la «proximité» dans cette pré-campagne pour la mairie. Pour elle, tout dépendra de la mobilisation: «Les quartiers [Nord, soit les 13, 14, 15 et 16es arrondissements, NDLR] voteront Samia, il n’y a pas de doute», explique un observateur de la campagne.
Car Samia Ghali est la seule candidate maghrébine et originaire des quartiers Nord parmi les candidats. C’est là qu’elle est implantée et que sa popularité est la plus massive. «Mais Royal misait aussi sur les quartiers en 2011», avec la déception que l’on sait…
Ghali est aussi la candidate qui est vue comme l’héritière du système tant fustigé. La Chambre régionale des Comptes a épinglé dernièrement plusieurs attributions de subventions par le conseil régional, dont elle était vice-présidente, à des membres de sa famille.
En 2008, Guérini l’annonçait comme sa première adjointe s’il était élu maire. Aujourd’hui encore, elle conserverait le soutien du président du conseil général. Des «bénévoles» de l’institution colleraient même des affiches dans le Panier, fief de Guérini, selon le Canard Enchaîné.
«Elle n’est pas plus et pas moins l’héritière que les autres, rappelle un proche. Tout le monde doit quelque chose à Guérini. Simplement, elle ne crache pas dans la soupe et elle n’a pas besoin de ça pour faire campagne.»
Marie-Arlette Carlotti, trop vite favorite?
Ok, Marie-Arlette a un prénom qui sent bon l’Occitane, bien qu’elle soit née à Béziers. Mais elle est parfois perçue comme la Parisienne de l’étape. Seule ministre marseillaise du gouvernement (déléguée auprès du ministre de la Santé, chargée des Personnes handicapées), son style posé tranche avec le tempérament plus typiquement sudiste de ses rivaux Mennucci et Ghali, deux grandes gueules.
Marie-Arlette Carlotti, en mai 2012. Via Wikimedia Commons.
Le premier est d’ailleurs un quasi-permanent de l’émission du même nom sur RMC, tandis que la deuxième excelle à y laisser un souvenir impérissable quand on l’y invite. Or, l’image des candidats n’est pas négligeable dans la mesure où comme le discours rupturiste est –dans les mots en tout cas– à peu près consensuel à gauche, les électeurs pourraient choisir en fonction de la personnalité du ou de la candidat(e).
Carlotti organise des «café citoyens» en guise de meeting, elle s’essaie à présent au «clean tag», des sortes d’autocollants posés au sol, souhaitant ainsi «marquer sa volonté politique de “faire le ménage” à Marseille au sens propre comme au sens figuré». C’est cool. Peut-être un peu trop solférinien 2.0.
Parfois, elle tente une sortie à la marseillaise. Ce sera le calamiteux épisode du tweet avec un gilet pare-balles, lorsqu’elle a voulu montré qu’elle «craignait degun».
Avis à @jcgaudin : je crains dégun. #kalachnikov pic.twitter.com/1wMAaRgbk7
— M-A Carlotti (@MACarlotti) September 25, 2013
Sur le fond, elle est la championne de l’anti-clientélisme. Son programme met en avant la nouvelle gouvernance, sujet sur lequel elle a publié 19 propositions. Elle entamera même, si elle est élue, son mandat par un «audit “nouvelle ère”». Tout cela est ambitieux, bien que là encore un poil sophistiqué pour créer l’élan populaire.
Pour les deux réformateurs autodéclarés, car elle partage le positionnement de Mennucci (voir plus haut), la prise de distance est périlleuse. Carlotti a été porte-parole de la campagne municipale de Guérini en 2008, quand Mennucci en était le directeur. Le président du «Bateau bleu», surnom du conseil général, oublie rarement de le rappeler…
Son atout politique est indéniablement d’être la seule ministre parmi les candidats. Elle a l’oreille du gouvernement et poussera les dossiers marseillais à la capitale et dans les ministères.
Portée par les sondages, qui, pour cette primaire pour laquelle on ne connaît pas le corps électoral, ne sont qu’un maigre indice, Carlotti donne l’impression de faire une campagne de second tour. L'enquête publiée en septembre dans La Provence illustre un paradoxe: préférée à Mennucci d’un cheveu par les sympathisants de gauche, elle passerait en revanche derrière lui lorsqu’il s’agit d’affronter Gaudin.
Les électeurs de la primaire se projettent-ils vraiment ainsi dans le second tour, un peu comme avec Hollande en 2012, auquel cas elle pourrait être battue? Ou seront-ils sensibles à son statut de favorite du gouvernement et donc de candidate légitime? Nul ne peut le dire.
Gaudin comme Guérini entendent bien lui mettre des bâtons dans les roues: le premier a peur de se faire battre par elle, le second lui en veut de son indépendance. Conseillère générale, elle avait dès 2011 demandé son exclusion du PS.
Jean-Noël Guérini, le parrain qui encombre la famille
«Je suis le bouc émissaire d'un petit microcosme de la classe politique marseillaise. Comme si, à travers moi, chacun pouvait se laver symboliquement de toutes ses fautes.»
Il y a de la sagesse dans cette remarque lâchée dans La Provence par un Guérini qui multiplie les déclarations à double sens et surjoue à merveille son nouveau rôle de victime expiatoire.
Jean-Noël Guérini, en janvier 2013. REUTERS/Jean-Paul Pélissier.
A force de lui taper dessus à longueur de campagne, les candidats ont fini par faire d'un homme à moitié à terre le centre de gravité de la primaire. Il est impossible, pour un candidat, de ne pas faire une déclaration sur la situation du président du conseil général.
De là, juge un connaisseur, «l’impression que le discours sur la gouvernance est centré sur la gauche et moins sur Gaudin, alors qu’on voit que le rapport de la Chambre régionale des comptes est sévère pour sa gestion publique».
Un rapport en forme de bilan très critique pour celui qui achève son troisième mandat de maire de Marseille, et qui devrait en toute logique convaincre les électeurs que le temps de l’alternance est venu. Sauf qu’à Marseille, rien ne se passe comme ailleurs. Mais cela, vous le saviez déjà.
Jean-Laurent Cassely