Dire la vérité vraie sur le dopage sportif? Cela restera à faire. «Avoir une longueur d’avance». C’est le sous-titre imagé du rapport de la «commission d’enquête sur l’efficacité de la lutte contre le dopage»; rapport rendu public le 24 juillet par les sénateurs Jean-François Humbert (UMP, Doubs) et Jean-Jacques Lozach (PS, Creuse), respectivement président et rapporteur. Un rapport volumineux avec, dans le tome II une pépite annoncée: la liste des cyclistes participants aux Tour de France millésimés 1998 et 1999 et officiellement dopés. Plus précisément identifiés «positifs à l’EPO» par le laboratoire antidopage de Châtenay-Malabry sur la base d’échantillons urinaires.
Cette révélation à quinze années de distance constituait une première à l’échelon international et une petite bombe dépassant le seul monde du cyclisme professionnel. Elle fournissait la démonstration éclairante que l’avancée des techniques d’analyse biologique associée à une volonté politique claire permet de débusquer les mensonges, la fraude et les manquements à l’équité sportive.
C’était d’une certaine façon l’équivalent de la révolution qu’a été l’arrivée de la technique des empreintes génétiques dans le champ de la médecine légale et de la police criminelle. Les sportifs dopés pouvaient désormais être dépistés à distance de leur(s) forfait(s) comme les assassins peuvent désormais l’être à distance de leur(s) crime(s).
La pépite sénatoriale n’avait pas été bien difficile à extraire. Pour autant, elle n’était pas dans les cordes des journalistes «d’investigation». Il fallait en effet quelques clefs de coffres: croiser les résultats des analyses pratiquées au laboratoire de Châtenay-Malabry avec les procès-verbaux de contrôle anti-dopage (dont des exemplaires étaient conservés à l’ombre, au ministère de la Jeunesse et des Sports). Chaque procès-verbal comporte le nom du sportif contrôlé et celui de son «accompagnateur» associés aux numéros de «code flacon» et de «scellé».
Or ces mêmes numéros identifient les résultats «anonymisés» des analyses biologiques. Croisez les deux et la vérité apparaît. C’est la démonstration par «a + b» de la puissance de l’association de la science et de la politique. L’affaire était ici d’autant plus facile à réaliser qu’aucun des dopés à retardement ne risquait plus de sanctions –à l’exception peut-être d’un opprobre rétroactif.
Une fraction de vérité
Pourquoi avoir communiqué ces pièces officielles qui alimentaient de multiples rumeurs depuis plusieurs mois? Et ce d’autant que Patt McQuaid, président de l’Union cycliste internationale y était fermement opposé (courrier du 3 juillet 2013). Pour établir, preuves nominatives à l’appui, que la vérité peut être connue.
La vérité? Plus précisément, la pépite sénatoriale ne comporte qu’une fraction de la vérité. D’abord parce qu’il ne s’agissait que des tests de recherche de prise d’EPO. Ensuite parce qu’une forte proportion (près de la moitié) des échantillons n’a pu être analysée –et classés «indétectables» ou «inclassables» au bénéfice du doute. Pour autant, l’essentiel de la démonstration est là: la science biologique peut décrire une réalité inaccessible au moment de la remise des trophées et des primes qui les accompagnent.
Les mêmes causes produisant les mêmes effets, la démonstration parcellaire réalisée dans le cyclisme à l’acmé de l’affaire Festina vaut pour toutes les autres disciplines sportives.
Or c’est précisément ici que le bât sénatorial blesse: aucune des soixante propositions constructives et cohérentes ne reprend et structure cette nouvelle et puissante arme que constitue la relecture biologique rétrospective. Interrogé sur ce point lors de la conférence de presse, Jean-Jacques Lozach a qualifié cette possibilité de «saine». Sans plus.
Au terme d’un long et patient travail, les sénateurs ont été d’accord à l’unanimité pour que l’on réorganise l’ensemble du dispositif français: mieux connaître la réalité des pratiques, coordonner une lutte victime de la guerre des services (gendarmerie, police, douanes, agence française de lutte etc.), encourager une forme de délation positive, enquêter sur ces plaques tournantes que sont devenues les salles de fitness...– le tout à budget constant, ce qui constituera un nouveau record.
On comptera également comme une mesure indispensable l’harmonisation de la lutte dans toutes les compétitions internationales. Mesure indispensable également que la libération du laboratoire d’analyses de Châtenay-Malabry de la tutelle étouffante de l’Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) et son entrée dans le monde universitaire de la recherche.
De même, retirer le prononcé des sanctions aux fédérations permettrait peut-être d’en finir avec la schizophrénie actuelle qui voit les coorganisateurs des spectacles sportifs chargés de taper sur les doigts de ses meilleurs acteurs. De ce point de vue, les gros pardessus du tennis et des principaux sports collectifs (football et rugby) devraient anticiper sur un mouvement dont ils ne pourront longtemps continuer à se préserver.
Mais sur le fond, on sent les sénateurs comme apeurés de proposer, avec les analyses biologiques rétroactives, une remise en cause par trop révolutionnaire de l’organisation sportive et médiatique actuelle. Pourquoi, sinon, avoir souligné lors de conférence de presse que Chris Froome était un beau vainqueur du Tour 2013 et que rien ne permettait de douter des origines de sa stupéfiante puissance?
Les sénateurs ne devraient pas avoir peur du rétroviseur. L’affaire Festina n’a en rien ruiné la passion collective pour le cyclisme; passion réactivée par sa relecture d’aujourd’hui. Il en irait de même avec des maillots jaunes qui seraient remis, chaque mois de juillet, à titre provisoire. Sous réserve d’inventaire biologique et éthique. Bientôt cela s’appellera «avoir une longueur d’avance».
J.-Y.N