Paris, Paris féminisé, Paris disputé et Paris désormais rééquilibré. L'Assemblée nationale a adopté, mercredi 10 juillet, une proposition de loi de la majorité amendant le nombre de conseillers municipaux élus dans chaque arrondissement de la capitale.
La précédente répartition, qui reprenait, en l'actualisant légèrement, celle établie il y a trente ans sur la base des chiffres du recensement de... 1975, a en effet été censurée le 16 mai par le Conseil constitutionnel au motif qu'elle surreprésentait les petits arrondissements du centre.
La droite parisienne entendait utiliser ce débat pour défendre une réforme «radicale» d'un système électoral de la ville jugé «à bout de souffle» et peu lisible: ses députés, dont sa candidate Nathalie Kosciusko-Morizet, avaient proposé que le conseil municipal soit désormais élu dans le cadre d'une circonscription globale couvrant les vingt arrondissements, comme c'est le cas dans d'autres grandes métropoles (New York, Londres, Montréal, Rome...). Une proposition qui n'avait aucune chance d'être adoptée cette fois-ci, mais suscite un débat qui éclaire plusieurs enjeux de la municipale 2014 et de la mandature à venir.
Pourquoi on peut être pour
Cela éviterait une «Floride 2000»
On l'oublie parfois, tant la droite s'était déchirée cette année-là: en 2001, la gauche était minoritaire en voix à Paris, avec moins de 49% au second tour, mais l'avait emporté avec vingt sièges d'avance. Une «Floride 2000» à la parisienne, en somme.
«Ce n'est pas arrivé souvent, ni à Paris ni aux Etats-Unis. Il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain», tempérait avant l'examen du texte le député francilien Pascal Popelin (PS), rapporteur de la proposition de loi sur la nouvelle répartition des sièges. Mais ressort pourtant d'une logique géographique qui favorise la gauche, un peu plus «étalée» à Paris que la droite. «En 2007, au second tour de la présidentielle, Sarkozy avait 3.000 voix d'avance sur Royal, mais en projetant les résultats par arrondissements, la gauche avait plus de vingt sièges d'avance», explique ainsi Matthieu Jeanne, doctorant en géopolitique parisienne à l'Institut français de géopolitique.
L'opposition pointe aussi que, actuellement, le maire de Paris n'est élu directement que par les électeurs de son arrondissement –soit, pour Bertrand Delanoë, «35.861 électeurs du seul 18e arrondissement sur les 1,2 million que compte la capitale», selon le maire UMP du 15e Philippe Goujon.
Des critiques qu'on retrouve parfois à gauche: en 2012, une note du laboratoire d'idées Think Tank Different (cofondé par Thomas Hollande) dénonçait ainsi «la prime à la domination spatiale et territoriale par rapport au total des suffrages obtenus» ou «le nombre très faible d'électeurs votant directement pour le futur maire» de Paris.
Cela rendrait les électeurs plus égaux
Un homme, une voix, c'est vrai en théorie à Paris, mais pas en pratique: un habitant du 12e arrondissement a plus de poids électoralement qu'un habitant du 16e. En 2001, si un peu moins de 6.000 électeurs PS du 12e et du 14e avaient choisi d'aller à la pêche au second tour, la droite aurait conservé la mairie. Si 6.000 électeurs du même parti, mais habitant le 20e arrondissement, étaient restés chez eux le second dimanche, la gauche n'aurait même pas perdu un siège au conseil municipal...
«Toutes les voix des Parisiennes et des Parisiens se valent», plaidait le député UMP du 16e Bernard Debré en juin. Le passage à l'élection au sein d'une circonscription unique permettrait effectivement de mettre les électeurs sur un pied d'égalité et, du coup, les inciterait peut-être à se rendre plus volontiers aux urnes: joué d'avance, le 16e, un des arrondissements les plus «civiques» à la présidentielle, est celui qui vote le moins aux municipales, alors que les électeurs des arrondissements «tangents» sont généralement mieux mobilisés.
Cela permettrait de sortir d'un système qui s'use
La nouvelle répartition des conseillers de Paris proposée par la majorité montre à quel point l'élection est devenue compliquée à gérer dans le cadre des arrondissements actuels. En octobre 1982, un amendement voté à l'Assemblée avait imposé que chacun compte, non pas deux, mais au moins trois conseillers municipaux, soit le seuil à partir duquel deux partis peuvent remporter des sièges –quand il n'y en a que deux, ils vont en effet automatiquement au parti arrivé en tête...
Cela sera justement le cas, à partir de l'an prochain, dans les 1er, 2e et 4e arrondissements, puisqu'ils ne compteront plus qu'un ou deux élus: dans ces arrondissements, l'opposition, qu'elle soit de droite ou de gauche, n'aura donc plus aucune chance d'être représentée au conseil de Paris. Le regroupement des arrondissements du centre aurait pu pallier ce problème, mais la majorité n'en a pas voulu.
Pourquoi on peut être contre
Cela renforcerait trop la stature du maire de Paris
Pour la droite, l'élection directe du maire de Paris sur une circonscription unique lui donnerait une stature plus importante. Trop importante? C'est ce que pense le PS, selon qui «la stabilité du système politique parisien tient aussi à l'équilibre des pouvoirs entre la mairie centrale et les mairies d'arrondissement», arrondissements auxquels les citoyens parisiens seraient selon lui très fortement attachés.
Dans ce débat, on retrouve en fait les mêmes arguments que sur l'élection du président de la République au suffrage universel direct, à laquelle seule une partie de la gauche s'est convertie. En commission des lois, le député-maire du 18e Daniel Vaillant a d'ailleurs dénoncé une «vision bonapartiste de la société et de la République» tandis que le chef de file du Front de gauche à Paris, Ian Brossat, a dénoncé une «course à la personnalisation à outrance, [qui] gomme les projets et efface la réflexion collective pour ne les réduire qu’à un petit casting façon télé sans réalité».
Une vision de la capitale qui a ses racines dans l'attitude de la gauche quand elle était l'opposition municipale: «Au moment de la loi PLM de 1982, son objectif était d'affaiblir Jacques Chirac, alors maire de Paris: dans un premier temps, le texte proposait vingt arrondissements qui étaient quasiment des communes, avec considérablement plus de pouvoirs qu'aujourd'hui», explique Matthieu Jeanne.
Cela laminerait l'opposition
Largement battue en 2008, la droite compte néanmoins 63 sièges au Conseil de Paris, contre 99 pour la gauche: un sort plus enviable que celui de l'opposition dans la plupart des villes de France. Dans les communes à circonscription unique, la liste qui arrive en tête au second tour dans une configuration de duel remporte en effet automatiquement 50% des sièges, plus une part des sièges restants à la proportionnelle –soit au moins 50% de 50%, et donc au moins 75% des sièges au total.
A Paris, dans le cadre d'un scrutin global, une liste battue avec 45% des voix (score de la droite à la présidentielle 2012 dans la capitale) ne remporterait ainsi que 36 sièges contre 127 pour la majorité... C'est pourquoi la note de Think Tank Different préconise d'ailleurs –contrairement à l'UMP parisienne– de n'attribuer automatiquement «que» 25% des sièges à la liste majoritaire.
Pourquoi ça va attendre 2020 (au mieux)
Parce que le texte est incomplet...
«Ce texte n'a pas de cohérence, il faut proposer le même argument pour Lyon et Marseille», pointait Pascal Popelin à propos de la proposition de l'UMP à la veille du débat. En vertu de la loi PLM, ces deux villes appliquent en effet le même système électoral que Paris, par arrondissement à Lyon, par «secteurs» regroupant deux arrondissements à Marseille.
Difficile d'imaginer qu'on institue une élection à circonscription unique à Paris, comme dans la plupart des grandes villes françaises, sans le faire dans deux villes moins peuplées. Il faudra donc réformer trois villes en même temps. Avec trois fois plus de polémiques politiques à la clef?
...et trop tardif
Davantage encore que sur le fond, le PS s'opposait au tempo de cette proposition de réforme. «J'ai l'impression qu'il y a une tradition à l'UMP qui consiste à vouloir changer les règles à quelques mois de l'élection. Je note que, de 2007 à 2012, l'ancienne majorité n'a pas jugé opportun d'inscrire une telle démarche à l'agenda», notait Pascal Popelin.
Sa camarade de parti Juliette Méadel, directrice générale du think tank Terra Nova et élue du 14e, estime elle qu'une élection du maire de Paris dans le cadre d'une circonscription globale constituerait une réforme «bénéfique à la démocratie locale» en période de «crise de la représentation», mais craignait que la polémique sur la proximité des élections ne contribue à «enterrer» l'idée. «Si on y croit vraiment, on ne le fait pas maintenant», concluait-elle mardi.
Jean-Marie Pottier
Initialement publié mercredi 10 juillet, jour de l'ouverture du débat au Parlement, cet article a été actualisé, jeudi 11, au lendemain de l'adoption de la proposition de loi PS.