Depuis que Clément Méric, un militant anti-fasciste de 19 ans, est mort à Paris dans une bagarre l’opposant à des skinheads du groupe des Jeunesses nationalistes révolutionnaires, deux noms sont reviennent inlassablement dans les médias. Serge Ayoub, le fondateur de ce petit mouvement skinheads «solidariste» parisien et Fred Perry, la marque de vêtements qui faisait l’objet d’une vente privée à la sortie de laquelle le drame a eu lieu.
Car Fred Perry est une saga vestimentaire qui a des liens avec la politique, la musique et les mouvements de jeunesse de la seconde partie du XXe siècle. Dans un article très documenté, le Huffington Post explique que «Fred Perry et ses polos proprets à la couronne de lauriers ont suivi l'évolution et les dérives d'une partie la jeunesse anglaise du XXe siècle».
Rien ne prédestinait cette marque de vêtements de tennis, fondée par le champion Fred Perry (dernier Anglais victorieux à Wimbledon en 1936), à devenir la marque favorite des groupuscules politiques radicaux. Le polo, pièce iconique de la marque, a d’abord été introduit en 1933 par le Français René Lacoste, rappelle L’Express. Les deux anciens tennismen, après s'être affrontés sur les cours, vont continuer à s'opposer sur le front commercial. La marque Fred Perry séduit les pays anglo-saxons et la clientèle populaire, Lacoste le monde latin et la bourgeoisie.
C’est le mouvement de jeunesse des «Mods», en Angleterre, qui va ensuite s’emparer de la marque Fred Perry. Dans les années 1960, ces jeunes amateurs de modern jazz se distinguent par le port de Clarks ou de Doc Martens aux pieds, et par des coupes de cheveux toutes britanniques qui évolueront au fil du temps, mais resteront toujours assez fantaisistes.
Plus tard les «hards mods», holligans violents et les «rud boys», immigrés antillais, adoptent le polo Fred Perry, qui est devenu entretemps coloré et personnalisable, poursuit le Huffington Post.
Une marque adoptée par deux mouvances opposées
«Peu de marques de vêtements sont le symbole d’une pensée politique, écrit pour sa part le site Next. Plus rares encore sont celles qui représentent deux mouvances opposées.» C’est pourtant le cas de Fred Perry, puisque que dans les années 1980 son image se brouille en raison de sa percée dans les milieux radicaux. Les skinheads, dérivé tardif des mods qui à l'origine se définissaient par rapport à la musique et étaient apolitiques, se scindent et une partie d'entre eux rejoint l'idéologie néo-nazie et l'activisme d'extrême droite. La mouvance redskin, quant à elle, se structure autour de la scène alternative des milieux libertaires et anarchistes d'extrême gauche, sans pour autant renier le fameux polo.
Comme l’explique sur France TV Info le sociologue Gildas Lescop, auteur d’une thèse sur ces mouvements à paraître en 2014, il n’est pas facile de distinguer, sur le plan vestimentaire, un militant d’extrême gauche d’un militant d’extrême droite:
«Etant donné que les skins de différentes factions portent les même marques, certains ont développé des micro-signes de reconnaissance pour se démarquer. Cela passe par la couleur des lacets, mais aussi par les bandes de couleurs présentes sur les manches des polos Fred Perry.»
Fred Perry a fait de grands efforts pour se respectabiliser, en sponsorisant des festivals ou des initiatives auprès des jeunes musiciens. Tout le gratin de la pop et du rock anglais, de Blur et Oasis en passant par Franz Ferdinand jusqu’à Pete Doherty, a porté du Fred Perry. En 2011, la marque a mis en vente les pièces d'une collection d'inspiration fifties, créée par la chanteuse Amy Winehouse, décédée peu de temps avant.