France / Politique

Etienne Marcel, modèle frondeur pour candidat à la mairie de Paris

Temps de lecture : 5 min

Pour gagner Paris, il faut rejeter l'image du favori investi par les sondages ou le parti. C’est en tout cas ce que pensent les candidats pour 2014, comme avant eux Jacques Chirac et Bertrand Delanoë: le modèle reste le révolutionnaire prévôt des marchands de Paris au XIVe siècle.

Le quai de la station de métro Etienne-Marcel / Tilemahos Efthimiadis via Wikimedia Commons
Le quai de la station de métro Etienne-Marcel / Tilemahos Efthimiadis via Wikimedia Commons

C’est bien connu ma bonne dame, les Français n’aiment pas que l’on décide pour eux du sort d’une élection. Les sondages, les commentateurs, les appareils partisans... ne sont faits que pour être démentis ou déjoués, et avant cela, si vous êtes en mauvaise posture, il est de bon ton de les vilipender. Car la France, voyez-vous, est un peuple libre. Mieux, c’est un peuple frondeur, toujours prompt à vous glisser un 21 avril dans les pattes ou à obliger Edouard Balladur à regarder «Sa Courtoise Suffisance» en face.

Dès lors, que dire des Parisiens, ces citoyens à l’avant-garde des révoltes du pays, instigateurs de la Révolution française, prêts à dresser des barricades quand on leur vole leurs canons et dont on ne compte même plus le nombre de soulèvements? Paris, capitale de la Fronde, a suscité les craintes des différents pouvoirs (monarchie, empire, républiques) à travers l’histoire.

«Cette place explique en partie la césure Paris/Province qui a longtemps marqué la vie politique française, et continue d’exister, explique Yvan Combeau, professeur des universités auteur de plusieurs ouvrages sur l’histoire de la ville. Paris, et les Parisiens, composent surtout un acteur et une scène politique incontournables, d’une importance unique dans l’histoire politique nationale.»

Ils ont beau désormais se déplacer en Vélib, rien ne dit qu’ils ne rouleraient pas aujourd’hui encore sur l’Hôtel de Ville ou l’Elysée dès la première étincelle venue. C’est en tout cas sur cette image d’Epinal que misent les candidats à la mairie de Paris, à un peu moins d’un an des élections municipales. Chacun cherche à se présenter comme un frondeur et à faire de son concurrent le favori désigné ou le représentant du système.

C’est dans cet esprit que Nathalie Kosciusko-Morizet a choisi depuis l’annonce de sa candidature d’affubler Anne Hidalgo, première adjointe de Bertrand Delanoë depuis douze ans, du statut d’«héritière». Une manière pour NKM, le bébé Chirac, fille, petite-fille et arrière-petite-fille de maires des Hauts-de-Seine, de projeter sur la socialiste l’image que l’on renvoie souvent d’elle-même, et ainsi de s’en détacher. Les critiques de Rachida Dati, pointant une Nathalie Kosciusko-Morizet «choisie par le système» –les barons de l’UMP d’un côté et les médias de l’autre–, ne sont d’ailleurs pas pour faire plaisir à la députée de l’Essonne, qui cherche à gommer son image de femme de la haute.

La candidate du PS, elle aussi, ne manque pas de souligner à quel point elle a compris combien le peuple parisien était insoumis, s’étonnant de ce que son adversaire supposée (la primaire de l’UMP n’est pas encore passée) se réclame de Margaret Thatcher, tout le contraire de «l’esprit ouvert, frondeur, libre des Parisiens».

Mais s’il est un candidat qui pense symboliser le mieux cet état d’esprit, et répète comme un mantra que l’élection n’est pas jouée d’avance, c’est bien Pierre-Yves Bournazel. Postulant très motivé à la primaire de l’UMP, il est le seul à croire en ses chances face à Nathalie Kosciusko-Morizet. Le conseiller municipal du XVIIIe arrondissement s’appuie à la fois sur sa qualité d’élu de terrain et sur l’histoire récente des parachutages ratés de personnalités dans la capitale, comme il l’a rappelé lors du premier débat entre les candidats de droite.


Meilleurs moments du débat #Primaire75 UMP par publicsenat

La liste des «candidats du système» (i.e. imposés par l’appareil partisan) à avoir connu la débâcle à Paris est longue dans les rangs de la droite: Dominique Versini aux régionales en 2004, Arno Klarsfled aux législatives en 2007, Christine Lagarde et Jean-Marie Cavada aux municipales en 2008, Chantal Jouanno aux sénatoriales en 2011...

Mais le plus célèbre des crashs reste celui de Philippe Séguin, tête de liste RPR en 2001 contre Jean Tibéri, maire sortant, et Bertrand Delanoë. Sa campagne calamiteuse restera dans les annales par la grâce du documentaire d’Yves Jeuland, Paris à tout prix. La même année, Jack Lang, candidat de l’opinion, devra lui se retirer face au besogneux Delanoë, l’homme des dossiers.

Bournazel aime d’ailleurs à se comparer au Bertrand Delanoë de 2001, même si ce dernier, contrairement au conseiller municipal UMP, pesait à l’époque plus lourd politiquement, car sénateur et ex-député.

Autre exemple de candidat «frondeur»: Jacques Chirac. En 1977, pour la première fois depuis un siècle, les Parisiens sont invités à désigner leurs représentants. Il revenait en effet au préfet de la Seine de présider à leurs destinées pour éviter qu’un épisode comme la Commune de Paris ne se répète (la question de la sécurité est d’ailleurs toujours à la charge de la préfecture de police, Paris ne disposant pas de police municipale). Le pouvoir giscardien présente avec confiance son candidat, Michel d’Ornano. Mais c’était sans compter l’entrée surprise dans le jeu de Jacques Chirac, sur les conseils de Pierre Juillet et Marie-France Garaud, à trois mois du premier tour. Il l’emporte largement sur son adversaire à l’issue d’une campagne éclair. Yvan Combeau rappelle:

«Quand Jacques Chirac se lance dans la bataille municipale de 1977, il en appelle à l’histoire, au passé glorieux, à l’opposition parisienne pour se soulever autant contre les choix de l’Elysée que contre la gauche unie.»

Mais pour cultiver cette image de rebelle parisien, la référence ultime n’est autre qu’Etienne Marcel.

Etienne Marcel. 1862. A de Neuville / via Francois Pierre Guillaume Guizot / Wikimedia Commons

Certains communicants de Nathalie Kosciusko-Morizet assurent –sans rire– reconnaître le prévôt des marchands de Paris en leur championne. Pierre-Yves Bournazel confie à qui veut l’entendre son admiration pour le personnage. Moins marqué politiquement que la communarde Louise Michel –trop rouge– Etienne Marcel renvoie l’image d’un révolté, un redoutable tribun qui s’est opposé aux puissants, à l’époque (XIVe siècle), le dauphin, futur roi Charles V. Yvan Combeau confirme:

«Etienne Marcel a pris la figure emblématique de la révolte de Paris, il illustre l’opposant.»

A son propos, Le Petit Robert des noms propres, édition 2000, nous dit qu’il s’est imposé comme l’un des leaders des Etats généraux, entre 1355 et 1357, à la tête de cette bourgeoisie qui tenta de s’arroger le contrôle des subsides et d’adjoindre un conseil au dauphin. Face au refus de ce dernier, en pleine Guerre de Cent ans, Etienne Marcel pris la tête d’une révolution urbaine, entra dans le palais de la Cité et assassina sous les yeux du dauphin deux de ses maréchaux.

Meurtre des maréchaux par les parisiens en 1322. Etienne Marcel oblige le futur Charles V à coiffer le chaperon rouge et bleu des émeutiers / A de Neuville / via Francois Pierre Guillaume Guizot / Wikimedia Commons

Accusé par la suite d’aller trop loin et de vouloir livrer la ville de Paris, il sera finalement tué par un partisan du futur Charles V.

Ce bon Etienne Marcel n’hésitait donc pas à se salir les mains. Normal, pourrait-on estimer aujourd’hui, alors qu’à l’époque le fait d’empaler son voisin pour le petit déjeuner était des plus banal. Mais cet aspect des choses n’est bien sûr pas ce que retiennent nos politiques, qui préfèrent vanter l’esprit plutôt que la lettre. Et ce même si un généalogiste affirme que Nathalie Kosciusko-Morizet est une descendante de Lucrèce Borgia, qui n’aimait rien tant que les coups de lame bien placés.

Olivier Faye

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