«Merci, les membres de cette commission garderont longtemps le souvenir de cette audition.» Tout sourire et même un peu rougissant, Jean-François Humbert, le président de la Commission d’enquête du Sénat sur l’efficacité de la lutte antidopage, vient de clore par ces mots l’audition de Travis Tygart, président de l’Agence antidopage américaine (Usada), ce jeudi 25 avril.
Une conclusion qui résume bien l’impression générale dégagée par cette séance: celle d’un vétéran de la lutte antidopage venu donner un cours magistral à des hommes politiques ayant quelques trains de retard sur les derniers développements dans ce domaine qui évolue si rapidement.
Une audition utile
L’objectif affiché de la commission créée en février dernier est de faire un «état des lieux précis et circonstancié, à la fois des pratiques dopantes et de notre politique publique en matière de lutte contre le dopage afin de dégager des solutions consensuelles permettant de renforcer l’efficacité de cette politique». La diversité des profils auditionnés depuis plusieurs semaines (médecins spécialisés, cadres de la lutte antidopage, sportifs en activité et retraités, entraineurs, présidents de fédérations, anciens ministres des sports etc.) est une preuve des ses ambitions et de sa volonté de récolter les avis de tous les acteurs concernés.
Le grand public a découvert l'existence de la commission en mars quand la directrice du département des analyses de l’Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) a annoncé lors de son audition que le rugby était le sport le plus touché par le dopage, déclenchant une polémique saine qui se poursuit encore aujourd’hui. Plus récemment, l’audition du champion du monde de football et sélectionneur de l’équipe nationale Didier Deschamps, dont la carrière de joueur est intimement liée à l’âge d’or du dopage européen dans les années 1990, a fait grand bruit.
Mais si presque rien n’a filtré de l’audition, qui s’est déroulée à huis clos «dans une ambiance de convivialité» et «sans dommages apparents» pour l’intéressé selon L’Equipe, on peut affirmer sans risquer de se tromper que la contribution faite par Travis Tygart ce jeudi sera bien plus utile aux membres de la commission.
Armstrong et l'UCI
Tygart est à la tête de l’agence antidopage la plus efficace au monde, qui avait notamment mis à nu l’énorme scandale de dopage BALCO aux Etats-Unis, et dont le rapport extrêmement fouillé paru en octobre 2012 a entraîné le retrait ses sept titres de vainqueur du Tour de France à la star mondiale Lance Armstrong, et les aveux surmédiatisés de celui-ci quelques mois plus tard. Et il a quelques bons conseils à donner au sujet de la lutte antidopage.
L’Américain a donné les grandes lignes de ce que doit être selon lui une lutte antidopage efficace: des contrôles inopinés en dehors de la saison sportive avec des tests longitudinaux de sang, d’urine, pour des substances qui ne sont pas sur les listes actuelles; tenir compte des nouvelles drogues sur le marché, des nouvelles pratiques; éduquer les jeunes et les amateurs; de l’investissement scientifique pour atteindre des niveaux d’excellence dans les études et les contrôles; que ceux qui, en dehors de la sphère sportive, fabriquent les substances soient aussi tenus pour responsables, ceux qui sont en dehors de la sphère sportive.
Puis il s’est fait plus précis, rappelant la nécessité de réduire les pouvoirs et l’influence de l’Union cycliste internationale (UCI) dans la lutte contre le dopage tant que l’organisation n’aura pas été réformée en profondeur. D’abord parce que, de manière générale, il est «très difficile de faire à la fois la police et la promotion de son sport», mais surtout parce que l’UCI a fait tout ce qui était en son pouvoir pour entraver l’enquête. «En 2012, l’UCI a accepté notre rapport sur Armstrong et dit qu’il fallait prendre des mesures décisives, mais n’a rien fait depuis», a dénoncé Tygart.
Le retard de la France
Sur l’enquête Armstrong justement, un membre de la commission a demandé à l’Américain s’il pensait que ce type d’enquêtes basées avant tout sur des témoignages et des analyses plutôt que sur des tests d’échantillons positifs classiques était amené à se répandre. Réponse amusée de Tygart:
«Ce type d’enquêtes est déjà très répandu. 20% de nos affaires résolues sont le résultat d’enquêtes analytiques, et non scientifiques. Dans le code de l’Agence mondiale antidopage (AMA), la plupart des délits peuvent être prouvés par autre chose qu’un test positif.»
«Aucune agence n’est parfaite, mais il faut avoir le courage de faire le travail dur et sale qui est nécessaire», a-t-il conclu, enjoignant ses homologues français, dont il a salué la coopération lors de l’enquête Armstrong, à faire de même. Si aucune agence n’est parfaite, l’Usada possède néanmoins une longueur d’avance sur l’AFLD, accusée de s’être montrée frileuse sur le dossier de la championne française Jeannie Longo.
G.F.